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03 2007

Du rap au slam : les musiques du métissage

David Querrien / Kevin Vrolant / Anne Querrien

Entretien avec David Querrien, Kevin Vrolant recueilli par Anne Querrien

David (30 ans) et Kevin (21 ans), parisiens, participent au mouvement rap depuis l’âge de 12 ans, comme beaucoup de jeunes de banlieues ou de la périphérie des grandes villes.

 
Comment avez-vous vu évoluer le rap depuis que vous le connaissez ?

David : Il y a dix-sept ans, quand j’ai commencé à m’intéresser au rap, les groupes phares aux Etats-Unis c’était Run DMC et Public Enemy. Ils étaient concurrents, se démarquaient musicalement et vestimentairement. Les Run DMC étaient habillés tout en noir avec un chapeau noir et des baskets adidas blanches à trois bandes noires. Public Enemy était plus engagé et taxé de racisme envers les blancs, les danseurs étaient habillés en militaires, et le leader cheikD avait toujours une casquette ; il y avait une sorte de feu-follet dans le groupe qui avait une grosse pendule autour du cou qui s’appelait Flavor Flave. Mais les vrais précurseurs du rap cela a été plutôt, mis à part les champs de coton, la médiatisation par Sugarhill Gang et Grand Master Flash. Run DMC, NWA et Public Enemy aux Etats-Unis ont installé le rap comme une musique revendicatrice, comme la musique d’une génération ; IAM et NTM se sont positionnés de même comme concourant à installer une nouvelle manière de faire de la chanson en France. Parallèlement la nation zouloue était un mouvement dirigé par Africa Bambaata qui revendiquait l’émancipation des noirs dans le monde. A ce moment là aux Etats-Unis le rap était complètement une affaire de noirs ; il y avait des femmes noires qui avait été nommées princesses par Africa Bambata. Une fille a été déclarée princesse en France, Princesse Erika qui devait assurer la pérennité du rap et du mouvement zoulou en luttant pour les droits des noirs et pour faire connaître la culture hip hop (qui comprend outre le rap, la break dance, le tag et le graff). La mode vestimentaire a contribué à installer le mouvement avec des starters (des blousons) au nom d’équipes de foot US ou de base ball. Le starter était le vêtement du hand boy, de celui qui est dans le mouvement. Il y avait aussi des chapeaux les Kangol, et les grosses chaines en plaqué or autour du cou, avec comme pendentifs des insignes de voitures, ce qui a fait que les jeunes volaient beaucoup les insignes des voitures pour se les mettre au cou, les plus prisés c’était les Mercedes. Cela s’est développé partout, à Paris, n’importe où. La musique était faite avec des boîtes à rythme et de façon assez simple. Mais il fallait un réel talent pour proposer un bon rythme. Aujourd’hui les programmations musicales ont des programmes informatiques qui calculent les tempos. Autrefois c’était moins évolué dans les musiques mais du point de vue beat c’était fort.

Le rap comme toute culture s’est développé et la culture hip-hop et le rap se sont apportés l’un à l’autre, ce qui a permis une pérennisation. Ce sont les plus jeunes qui sont dans la culture hip-hop ; les taggeurs et graffeurs reconnus en font un art à part entière. La culture hip-hop et rap est très avant-gardiste. Aujourd’hui dans les milieux bobos on s’habille comme les rappeurs s’habillaient il y a vingt ans, avec les vieilles vestes adidas, etc. (…) Le mouvement bobo est plutôt un mouvement de récupération de ce qui s’est passé. Ceux qui écoutent du rap sont en avant de la mode, et à l’écoute de ce qui vient des Etats-Unis. On est has been assez vite si on ne se renouvelle pas aussi vite.

Public Enemy et Run DMC étaient des groupes militants comme IAM et NTM en France, alors qu’à la suite les messages sont beaucoup moins travaillés ; les suiveurs cherchent plutôt à gagner de l’argent, et il y a une prolifération de groupes dans tous les pays alors qu’au début c’était limité aux Etats-Unis, à l’Angleterre et à la France. Chacun des groupes phares a une ou plusieurs chansons références pour la jeunesse de cette époque. La chanson Fight the power de Public Enemy qu’on entend dans le film de Spike Lee Do the right thing, un des premiers films qui parlait des problèmes entre générations et communautés d’immigrants. La chanson Walk this way de Run DMC est la première à réaliser la fusion entre les rockers (Aerosmith) et les rappeurs alors qu’auparavant c’était plutôt l’opposition. Cela a ouvert une porte au rap dans le rock et une porte au rock dans le rap. Une des chansons de référence du rap français c’est une chanson de NTM : Le monde de demain qui dit « Le monde de demain quoiqu’il advienne nous appartient, la puissance est dans nos mains ». Certaines chansons de NTM ont décrit dix ans à l’avance les émeutes des banlieues de novembre 2005. A côté de cela, IAM qu’on a toujours présentés comme des rivaux de NTM était le pendant marseillais de NTM (qui était en Ile de France en Seine Saint Denis), et a fait une chanson intitulée « Red, black and green », dont les premiers propos sont « Pourquoi tant de haine, c’est vraiment pas la peine, Shuriken te le dira les hommes sont les mêmes ». IAM a toujours eu un discours d’apaisement, de réflexion, quelquefois un peu mystique. NTM a un discours plus radical. Pour les puristes NTM est le groupe le plus hip hop du rap français.

Kevin : Pour moi, cela a commencé avec Secteur A, avec Ministère Amer, Passy, Doc Gynéco, Stomy Bugsy côté rap français ; je suis rentré dans le rap américain presque tout de suite presque avec l’équipe Docteur Dre, Snoog Dog, Tupac, Eminem ; j’ai écouté cela pendant longtemps, ensuite je me suis mis à écrire pendant deux ans, puis j’ai commencé à rapper mes textes après, cela fait maintenant cinq ans. Depuis trois ans je suis attiré par toutes les musiques, et plus seulement par les musiques américaines. Je veux aller puiser dans toutes les musiques pour les mélanger au rap. La tendance est de plus en plus de ramener dans un groupe un rapper avec un autre style de musique et de multiplier les connections. La rappeuse Keny Arkana me semble la figure la plus prometteuse du rap français actuel, textuellement et moralement parlant. Elle dit tout fort ce que beaucoup de gens pensent tout bas, et ce avec des mots que tout le monde peut comprendre ; elle décrit des faits et ne délivre pas son utopie à elle mais cherche celle de tous ; elle essaie de faire prendre conscience aux gens en disant ce qui se passe réellement. Elle appartient au mouvement zapatiste d’Amérique du Sud, et parle de la terre comme la terre mère ; elle souligne le caractère artificiel et oppressif de notre monde : « Esclavage mental, mais tout le monde s’en tape, car économiquement la liberté n’est pas rentable. (…) Il n’est jamais trop tard pour cueillir sa vie, rattraper le retard tout commence aujourd’hui. (….) Cueille ta vie avant qu’elle soit abîmée par le temps, cueille ta vie avant qu’elle soit emportée par le vent ». Elle est à la tête en France d’un mouvement qui s’inspire du mouvement zapatiste et qui s’appelle « La rage du peuple ».

 
Le rap a la réputation d’être un mouvement macho…

David : Il y a toujours eu des femmes dans le rap car il y avait des princesses de la nation zouloue, qui rappaient au même titre que les autres. Mais pour une femme percer dans le rap c’est très difficile, car il y a une forte concurrence. Les femmes ont mis beaucoup de temps à émerger, elles faisaient des passages éphémères sur les compilations (un ensemble de chansons sur un disque à thème) jusqu’à ce qu’il y en ait quelques-unes qui s’acharnent. Elles ont émergé après être restées dans l’ombre une dizaine d’années. Leur regard est très intéressant, leurs textes sont souvent plus matures, plus réfléchis. Diam’s a rappé des années avant de percer, Keny Arkana aussi a rappé cinq ans avant d’être connue. Les filles écoutaient du rap, écrivaient des textes mais ne venaient pas rapper en public.

Le passage au grand public et dans les médias fait perdre au rap son aspect revendicatif ; car ne passe dans les médias que ce qui ne revendique rien.

Pour beaucoup de gens le rap a rythmé l’adolescence, à la fois les disques, et les diverses modes que cela a induit. IAM c’est le côté rap intellectuel, avec des textes très écrits, des références aux pharaons, à la culture mondiale, au détriment parfois d’un beat très hip hop. IAM s’écoute et NTM se danse plus qu’IAM. Assassin c’est le rap le plus contestataire, qui n’est pas très médiatisé, mais qui est très militant. Le leader s’appelait au début Rockin’ Squat et venait d’un milieu bourgeois. On apprend la vie des chanteurs par la presse hip hop qui est faite pour le public capable de payer, et est donc décalée, vend une image.

Kevin : Le rap est un exutoire, comme la peinture, pour ramener de l’espoir en partageant quelque chose en groupe. Dans le rap tu trouves des gens qui pensent comme toi mais le disent d’une manière différente, et chacun peut trouver un espace dans le rap, dans le rap français en particulier.

David : Le rap a remplacé pour certains les journaux intimes. Rapper te fait faire partie du rap même si tu le fais seul, tu appartiens déjà au mouvement en le faisant tout seul dans ta chambre. C’est un mouvement fait de quelques groupes connus et d’une foule d’anonymes qui en font qui en sont.

Le mouvement n’a pas pour but de gagner de l’argent à la base, mais d’échanger des paroles. C’est comme le slam, tu dis des paroles dans le vent, pour le plaisir sans que cela rapporte, que cela soit écrit. Le rap c’est gratuit, c’est la recherche de la phrase, de celui qui va donner la rime dans le bon tempo. C’est de la boxe avec les mots ; on dit à des gens qui veulent se battre, affrontez vous en rimes, cela s’appelle le clash. Il y a des soirées clash dans des salles aménagées, des locaux pas chers. Le rap se fait parfois la nuit en revenant à pied, on cherche des mots qui fassent rire, on rime la galère. Le but n’est pas de se plaindre, mais de rire, de transformer par les mots. Le rap c’est à la fois accessible à tous et très sélectif au final. Maintenant il y a tellement de monde à rapper que pour faire son trou il faut vraiment être bon.

Kevin : Il ne faut pas seulement être bon mais savoir s’intégrer à tout un monde qui a ses règles ; il y a toute une démarche à faire pour avoir des contacts et créer sa structure, car tout seul ou mal accompagné on n’arrive pas à grand-chose.

 
Quel est le rapport au rap avec le verlan et les langages de banlieue ?

David : Le rap c’est un art de la rue qui reprend tout ce qui s’y passe, tous les langages présents, et le verlan entre autres, comme tout ce qui vient de la rue, mais il n’y a pas de filiation linéaire. Le verlan peut servir comme tout ce que mixe le rap, mais il ne s’agit pas de faire quelque chose qui soit incompréhensible par les autres, il ne s’agit pas d’un code secret, mais au contraire d’un chant ouvert à tous. Il y a différents types de rap qui ont des styles tous différents. Il y a des mots d’argot, mais pas de verlan systématique. Cela dépend du message à faire passer. Le rap c’est pour sortir de la cité, pour toucher les autres.

Le rap n’est pas la production des cités, mais est ouvert à des jeunes de tous les milieux. A la première génération c’était assez militant et idéologique, et la génération suivante les inspirations sont multiples, et les jeunes des cités ont été identifiés à cette musique, avec laquelle ils peuvent essayer de percer.

Kevin : Le rap comme tout art est hypermélangé dans tous les apports qu’il mixe, c’est la musique d’une jeunesse qui refuse de se faire enfermer dans des espaces spécialisés, ou des normes. Il y a aussi des groupes qui jouent l’image du rap, des mauvais garçons, et qui sont instrumentalisés par les maisons de production. Il y a par exemple un rapper qui s’appelle Booba qui passe bien actuellement. Il a traduit des raps américains en français, il colle à l’expression du système, et se présente comme le boss qui a réussi. Il décrit la réalité que le public a envie d’entendre.

David : Le rap puise dans toutes les musiques du monde, prend des samples. On dit que c’est simple, mais il faut le faire, savoir marier les choses ensembles, sélectionner les bons morceaux. Les instruments du rap sont très simples mais demandent une culture musicale très importante, transversale entre les types de musique pour pouvoir les mixer.

Le rap est présent maintenant dans toute la société ; c’est dans le rap qu’on se métisse le plus ethniquement, sexuellement, culturellement. Il y a des millions de jeunes en train de rapper. Alors que dans la nation zouloue il y avait encore une opposition entre les filles et les garçons, maintenant il y a mélange de tous et on ne s’occupe plus de l’origine de celui ou celle qui a fait un texte mais de la qualité. Le rap est pensé comme une musique et une pratique qui vient des noirs, mais en fait vont dans cette musique des gens de toutes origines dont certains comme Akhénaton ou Eminem pour en citer de très célèbres ne sont pas noirs. Le rap n’est pas une musique ethnique, c’est une musique ouverte à tous à partir d’une même sensibilité au beat.

La musique rap est la musique la plus métissée qui soit au monde, et dans le slam (poésie rappée) une musique qui passe seulement par la voix et le rythme. Cette musique se féminise de plus en plus et s’ouvre à toutes les autres musiques, même qui surviennent maintenant. Le but du rap c’est de réunir, d’arranger ensemble, de faire avec ce qu’il a tout autour, et de faire que ce qu’il a tout autour fasse de la vie, du rythme. Il y a des gens qui slamaient, ou qui rappaient, dans les champs de coton, qui attrapaient la vie en mots sans moyens. Aujourd’hui le slam fait l’objet de sessions publiques dans certains cafés avec des systèmes de notation comme dans les championnats sportifs. Le slam improvise parce qu’il est a capella et n’est pas contenu par un rythme, tandis que le rap doit se maintenir dans un système à quatre temps. Les sessions de slam rassemblent des gens qui en faisaient depuis des années. Le slam c’est la gratuité, un verre offert dans un bar, où tu viens déclamer ce que tu viens d’écrire ou improviser. Le slam c’est de la philosophie.

Le plus intéressant dans le rap c’est le mouvement collectif qui rassemble des gens de générations successives qui pensaient très différemment les uns des autres. Le rap est de son temps et évolue avec son temps

Kevin : Le rap dit beaucoup plus de choses qu’une chanson de variétés. Aujourd’hui la musique qui propose une recherche sur les mots, sur le sens, c’est le rap. La force de cette musique c’est d’être à l’écoute de ceux qui l’écoutent, c’est d’être aussi d’arriver à sortir de la boucle avec ceux qui l’écoutent. De nombreux musiciens font appel maintenant à des rappeurs pour leur propre musique. Beaucoup de rappeurs s’inspirent des grands chanteurs Brassens, Piaf, Brel, Barbara, ou d’autres chanteurs à textes, mais il leur semble que l’expression aujourd’hui passe par le métissage des musiques et des paroles, par un arrangement collectif qui puise à différents horizons. Aujourd’hui la chanson est formatée préparée, y compris certains raps ; les textes sont écrits par des spécialistes, et l’enjeu n’est pas l’expression libre mais le spectacle. L’univers du rap s’oppose à cet art de la scène.