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08 2012

Pas d'au-revoir !

Les soulèvements dans le sud et la nouvelle solidarité transméditerranéenne

Helmut Dietrich

La campagne Boats4people[1] a réussi à mettre en place cet été un réseau transnational à travers la partie occidentale de la Méditerranée. L’an dernier, la caravane organisée à travers l’Afrique de l’Ouest, partie de Bamako pour rejoindre Dakar, avait fait un premier pas dans ce sens. Au tour maintenant de la Méditerranée : le premier objectif est de mettre en place un système d’appel d’urgence alternatif en faveur des boat people. A plus long terme, le but est de mettre en relation les luttes sociales sur le pourtour méditerranéen. Les révoltes contre la paupérisation, comme en Grèce et en Espagne actuellement, ont été endémiques dans les pays plus au Sud depuis plusieurs décennies. C’est dans ce cadre que se trame la politique d’exclusion menée par l’Union européenne contre le Sud.

En 1981, les noms de villes « Berlin, Zürich, Brixton! » étaient devenus des cris de ralliement. Une vague de squats et d’émeutes urbaines secouaient les métropoles européennes. Lorsqu’éclatèrent en 1983/1984 en Afrique du Nord ce qu’on appellera les révoltes du pain, étouffées en quelques jours, moyennant certaines concessions et une forte répression – plus de 150 morts en Tunisie par exemple – ce fut le début d’un nouvel internationalisme en Europe. La référence à des mouvements de libération nationale était devenue obsolète. Les Etats qui avaient conquis leur indépendance contre la colonisation européenne avaient tenté de mettre en place des stratégies de développement, au détriment de la population rurale. Cette politique a été un échec économique : ils ont accepté les programmes d’ajustements structurels imposés par le Fonds Monétaire International (FMI) et ont arrêté de subventionner l’alimentation, ce qui a déclenché les révoltes du pain.

Mais le nouvel internationalisme des métropoles n’a pas réussi à bâtir des ponts au-dessus de la Méditerranée. Il ne réussit même pas à envisager les luttes sociales au Maghreb dans leur continuité ni à approfondir sa compréhension de ces conflits. Ce n’est que récemment qu’ont été diffusées en Europe d’excellentes interviews d’activistes qui ont fui le Maghreb et qui décrivent ces cycles de luttes persistantes régulièrement réprimées, comme par exemple l’entretien avec Khaled Garbi Ben Ammar[2]. A la fin des années 1970, il étudiait en Tunisie, fut exilé et finalement s’enfuit vers l’Europe en 1990. Il décrit comment, dans les années 1980, les étudiants, les travailleurs et les chômeurs étaient en permanence disponibles pour donner des coups de main ou participer à des grèves et des manifestations, et qu’ils étaient également impliqués dans les discussions au sujet de ces luttes. La connaissance sur ces nouvelles formes d’organisation n’a quasiment pas atteint l’Europe principalement du fait d’une perception européenne déformée qui identifiait l’Afrique du nord à l’islamisme.

Vers la fin des années 1970, les États arabes se sont « inventé » un ennemi commode, les islamistes. De nombreux liens existent entre les gouvernements laïques et leurs opposants islamistes. Au début, ceux-ci ont participé à la répression des révoltes sociales, mais par la suite, certaines factions islamistes furent les cibles d’une violente répression.


Le long silence de la gauche européenne

En 1988, des milliers de gens ont participé au Congrès pour un Nouvel Internationalisme qui se tenait à Brême, ainsi qu’au contre-sommet du FMI à Berlin-Ouest. Peu après, en octobre 1988, la jeunesse algérienne, ainsi que la population pauvre, passait à l’insurrection générale. Il s’agissait de jeunes, comme à Berlin, avec des idées semblables, sauf qu’ils étaient beaucoup plus pauvres et affamés par les mesures contre la consommation dictées par le FMI. La police et l’armée écrasèrent le soulèvement : il y eut environ 500 morts. Le silence de la gauche européenne a été scandaleux. Les islamistes on récupéré les restes de la révolte et ont ainsi gagné les élections. En conséquence, en 1992, l’armée, avec la bénédiction tacite de l’Occident, organisa un coup d’Etat qui fut à l’origine d’une terrible guerre civile. A ce jour, il est toujours interdit d’étudier ou de mentionner ces événements en Algérie, sous peine de poursuites pénales.

A l’époque, les gens qui prenaient la fuite en traversant la Méditerranée ne tombaient pas encore sur les agents de Frontex[3], de nombreux Etats de l’Europe du Sud n’avaient pas encore imposé l’obligation de visa pour les gens du Maghreb ; Schengen et la forteresse Europe ne fonctionnaient pas encore en Méditerranée. Le seul obstacle majeur était le départ du Maghreb, car il était difficile d’obtenir un passeport, mais la sortie non déclarée du territoire n’était pas poursuivie pénalement. Des années 1960 jusqu’aux années 1980, dans l’ensemble des pays de l’Europe occidentale, la légalisation était traitée individuellement, en sous-main, comme mesure d’intégration des travailleurs immigrés sur le marché du travail industriel.

A partir des années 1990 et surtout après le 11 septembre, les régimes nord-africains ont mis en place un système sophistiqué de répression préventive, inspiré des stratégies antiterroristes nord-américaines. Les personnes soupçonnées de non dénonciation risquaient arrestation et torture. Tout type de rassemblement ou de réunion devenait suspect, et pas seulement ceux des islamistes.

En Tunisie, sous le régime de Ben Ali (1987-2011), sur une population totale de 9 millions d’habitants il y avait plus de 30.000 prisonniers politiques. Finalement les organisations furent démantelées, et la résistance contre la pauvreté se déplaça sur le terrain de la vie quotidienne et des réseaux informels.

Parallèlement, l’UE a commencé à tendre la main vers les pays du Sud. En 2003, l’isolement international de la Libye fut rompu et elle reçut de l’argent grâce à la privatisation de la production pétrolière. L’Union européenne promit également d’accentuer son aide économique à la Tunisie et au Maroc. Contrairement à l’élargissement de l’Union européenne vers l’Est, qui a entraîné une convergence progressive des conditions de vie, l’influence grandissante de l’Union européenne au Maghreb a créé un décalage socio-géographique. Le fossé entre Nord et Sud s’est creusé autour de la Méditerranée, avec des écarts salariaux pouvant atteindre 1/10. Jamais auparavant, dans l’histoire millénaire de la région, une telle fracture sociale n’avait existé entre le Nord et le Sud.

La politique de confinement des « classes dangereuses » en Afrique du Nord forme la base de la première doctrine de sécurité et de la politique de voisinage de l’UE (toutes deux formulées en 2003). La fermeture face à la migration devint le leitmotiv politique commun. A partir de 2003/2004, les Etats d’Afrique du Nord ont adopté et mis en place de nouvelles législations portant sur le droit de résidence et le passage des frontières pour interdire la libre sortie du territoire, accroître la surveillance des « étrangers » et opérer des raids réguliers. La surveillance des côtes du Maghreb et de la mer fut coordonnée avec les pays de l’Europe du Sud et l’agence Frontex.

Tel était le contexte dans lequel le Premier ministre britannique Blair, le ministre de l’Intérieur allemand Schilly et le Premier ministre italien Berlusconi ont poussé les pays nord-africains à construire des camps de réfugiés sur place. Ces Etats prirent l’argent de l’UE pour moderniser leurs camps et leurs centres de détention et les transformer en centres d’expulsion. En 2005, nous, c’est-à-dire le Centre de Recherche sur l’Exil et la Migration (FFM) et le Comité pour les Droits humains (Komitee für Grundrechte) lancions un appel pour protester contre l’externalisation[4], en association avec le réseau de langue française Migreurop, mais nous n’avons pas réussi à construire un système d’échange sur ce thème.

A partir de 2003/2004, l’Europe accentua le contrôle du détroit de Gibraltar, les boat people originaires de Tunisie et d’autres pays africains réagirent en déplaçant leur parcours vers le canal de Sicile, suite à quoi le gouvernement italien décréta l’état d’urgence pour l’île de Lampedusa. Avec le soutien de Frontex, l’Union européenne déploya des technologies militaires de surveillance maritime.

Les boat people sont apparus en Méditerranée depuis 1990/1991, lorsque l’UE a introduit l’obligation de détenir un visa pour toutes les personnes venant des pays de la bordure sud de cette mer. Depuis La Méditerranée est devenue le plus grand charnier d’Europe occidentale de l’après seconde Guerre mondiale. Dès 2004/2005 les nouvelles techniques ont permis d’interpeller un nombre croissant de réfugiés en haute mer pour les renvoyer vers la Libye. Depuis, le nombre d’accidents mortels a augmenté.

En 2004, le cargo Cap Anamur, bateau de l’organisation d’entraide du même nom, a sauvé 37 réfugiés dans le détroit de Sicile. C’était le premier signe que pour être efficace, l’opposition contre la forteresse Europe devait mettre en place un système de sauvetage en Méditerranée. Cette action de sauvetage a été tenue en échec par la police et fait l’objet de poursuites judiciaires. La gauche européenne ne comprit pas non plus le sens de ce sauvetage, le traitant de « spectacle humanitaire ». Dès lors, cette action de sauvetage n’a pas pu bénéficier d’un soutien transméditerranéen, encore moins transnational.

 

De nouveaux réseaux de solidarité

Depuis, comme l’a démontré la participation de plusieurs centaines d’activistes en 2011 à la caravane transnationale de Bamako à Dakar, une nouvelle forme d’internationalisme est née. La campagne Boats4-People a réussi cet été à créer un nouveau réseau transnational à travers la Méditerranée occidentale. Les migrants, la jeunesse mobile et multilingue y ont joué un rôle central, capables d’étendre leur village social à travers l’amitié et l’échange sur des milliers de kilomètres.

Depuis les événements du printemps arabe, on assiste à une nouvelle escalade dans la militarisation de la frontière maritime et le nombre de réfugiés morts en pleine mer a atteint un chiffre record en 2011. Des cas documentés de non-assistance à personnes en danger sont signalés. Sous les yeux et sous les radars de l’UE et de l’OTAN, les réfugiés meurent de soif et se noient. Mais il y a désormais des contacts sociaux et politiques de part et d’autre de la Méditerranée. Et la technologie de haut niveau est également à portée de main des réfugiés, des migrants, des rebelles et des activistes du réseau Noborder. C’est ce qui a rendu possible la campagne Boats4people, plusieurs semaines de rencontres et de discussions – ainsi que l’élaboration d’un système d’appel d’urgence alternatif : WatchTheMed.

Pour plus d’informations sur Boats4people, avec des rapports et des images venant des sites de Cecina, Palerme, Tunis, Monastir et Lampedusa : www.boats4people.org ; www.ffm-online.org ; www.afrique-europe-interact.net.

 

Article, repris du journal allemand Analyse und Kritik, No 574, août 2012



[1] Des bateaux pour les gens, voir, entre autres, Archipel No 207 (http://www.forumcivique.org/fr/news)

[3] Agence européenne pour la protection des frontières extérieures.