06 2002
De la traduction permanente
„Qu’est-ce donc ce grand drame qui clôt toujours
l’enfance, sinon un embarquement forcé
vers un monde effrayant dont on est
sommé d’apprendre la langue?“
Jean-Christophe Rufin, Rouge-Brésil
Doit-on inévitablement envisager la
traductibilité ou l’intraductibilité entre deux termes comme diamétralement
opposées l’une à l’autre? N’y a-t-il pas de voie médiane ou désaxée par rapport
à cette dichotomie?[1] La première
option autant que la seconde renverraient au binôme insurmontable. Mais
imaginons un instant la traduction comme condition originaire, ou plutôt comme
condition tout court. Non pas d’un lieu, mais d’un geste d’origine. Non fondateur,
non fatal, mais nous précédent comme la langue en laquelle nous sommes nés sans
la choisir. Je ne crois pas à l’intraduisible entre deux langues, deux
cultures. Je ne prends pas pour autant le parti de creuser la dichotomie entre
les deux. Pourtant, la difficulté de la traduction, son insuffisance, est une
évidence. Ne partage-t-elle pas l’insuffisance de la langue, de tout langage,
et l’inadéquation de l’humain lui-même, de même que l’inadéquation de toute
institution à sa fin? La traduction serait alors une résistance vitale (par
l’expression critique différentielle
des différences) aux lignes hégémoniques d’imposition du sens (d’un sens), de même que la véhicule possible d’un pouvoir
(ainsi que de son contraire). Elle serait tout un champ de degrés, nuances,
écarts, un éventail d’(im)possibilités de traversées du sens. C’est bien pour
cela que toute traduction est imparfaite et inachevée, mais tout „original“ ne
l’est-t-il pas tout autant?
Autrement dit, il reste nécessairement de l’intraduit; c’est cependant le prix et la réserve de la compréhension et de la traduction possible en principe, mais toujours plus ou moins empêchée dans les faits. Ce qui me paraît problématique, c’est d’affirmer une intraductibilité de principe, comme une fatalité, ou une traductibilité. Les limites du dicible sont modifiables. Le fait justement de concevoir ensemble la traductibilité et l’intraductibilité, et même de ne pouvoir les imaginer qu’ensemble, autorise la „voie médiane“ que je suggérais et permet de dépasser la dichotomie comme horizon ultime et blocage. Entre deux termes, deux langues, deux cultures, il y a toujours la possibilité d’une traduction relativement réussie, insuffisante, mais donnant à espérer mieux car entrouvrant la porte d’un sens. La traduction n’est qu’une ouverture de sens, jamais une promesse d’exhaustivité. Il n’y a pas, cependant, identité entre les deux termes, langues, cultures, jusque dans la traduction réussie. Et c’est peut-être le prix de sa réussite: qu’elle ne soit pas parfaite, et que donc elle soit encore nécessaire.
En dehors de cela, la traduction est compliquée par toutes sorte de circonstances, en particulier par le contexte et le rapport dans lequel peuvent se trouver les deux à traduire, qui est inévitablement un rapport d’inégalité en ce sens que l’un se traduit dans l’idiome de l’autre, créant ainsi une situation typique de différend[2]. Il reste du non-dit dans cette situation, ou bien il y a un résidu de ce qui n’a pas de langage. Ce qui est la même chose au presque, que de dire qu’il y a du non‑entendu. Cette inégalité de base, déjà politique (avant toute politique), peut encore être aggravée par les circonstances historiques qui auraient rendu l’un des deux dominant. Depuis au moins Foucault, mais aussi par des anthropologues, des psychanalystes, nous savons désormais qu’il en va là du corps en dernière analyse. Par le biais d’autres approches disciplinaires et indisciplinées, telle que la théorie féministe, les études post-coloniales etc., nous savons également que ce qui ne peut pas être articulé ou entendu dans le langage convenu vient aussi de l’autre, du subalterne, de l’expérience de la répression vécue. La limite de ce dernier est bien encore le corps.
Tout ceci pour dire que la traduction engage les corps, et c’est dans ce sens à la fois étendu et restreint que je l’entends ici. Un cas de transplantation d’organe / d’intrusion d’un autre corps en serait alors seulement un cas individuel extrêmement dramatique. Et c’est dans ce sens „primaire“ que j’aborderai ici le thème de la politique de la traduction, par le biais de notre position de médiatrices, à la fois traductrices et traduites, sans pouvoir me pencher sur la question fondamentale des circonstances politiques plus globales de la traduction / intrusion. Je saisirai aussi l’occasion pour projeter un autre exercice de truchement par-dessus ce qui vient d’être proposé – celui qui pourrait prendre corps entre Nancy et certains concepts venant des philosophies indiennes. Il ne s’agira pas de traduire les textes, mais des contextes. Ce qui nous y invite, c’est la crise et, dans les exemples cités plus bas (J.-L. Nancy), la situation critique dans laquelle se trouve le corps. Car ce corps, se sentant lui-même en question va vers la traduction ou bien vers sa transformation comme seule issue. C’est apparemment (surtout) la crise qui nous met en condition de traduction, qui nous ouvre à un sens nouveau. Sur une autre échelle, Veena Das avait parlé d’événements critiques pour des situations analogues.[3]
Obstacles
intimidants
Aucun des deux extrêmes ne paraît viable: dire que les langues ou les cultures peuvent pas être traduites, ou qu’elle ne le peuvent pas. L’expérience nous dit que la traduction a toujours lieu, toujours insatisfaisante. Le sentiment d’imperfection ou d’inachèvement qui résulte de toute tentative de traduction n’est pas propre à celle-ci seulement. Plus profondément, il caractérise la condition humaine, le paradoxe existentiel d’être à la fois mortel et promis à l’immortalité. Aucune langue, aucune traduction, aucune inter‑prétation ne peut dire cela complètement. Notre condition, notre origine, notre aboutissement n’est situé ni dans le terme à traduire ni dans le résultat de la traduction, mais bien en cet inter‑, cet entre‑deux insupportable et invivable que nous vivons néanmoins. C’est le paradoxe d’avoir un corps et de ne pouvoir être réduit(e) à lui, mais de ne pouvoir vivre ni penser sans lui. Certes, cette condition pourrait changer lorsque nous (mais qui, nous?) arriverons à penser sans corps[4] et il est possible que nous nous (?) en approchions. Mais je ne spécule pas ici sur cet idéal d’identité de soi à soi dont j’ai ailleurs critiqué la volonté et les effets de violence[5]. La traduction (la vie?) se déroule dans cette inconditionnalité, cet impératif du corps animé.[6] Elle n’est elle-même que rapport, n’étant rien en elle-même; néant. Il ne s’agit jamais „seulement“ du corps, mais de la manière dont la condition de l’être est pliée par celui-ci (sans, mais aussi avec organes; anatomie et non), et réciproquement, mais non symétriquement, de la façon dont le prisme du psychique, social, historique réfracte le corps. Dans ce sens, nous aurons toujours été une greffe de nous-mêmes en tant qu’autre. Et des greffes peuvent s’ajouter à d’autres, pour compliquer les choses, comme le montre L’Intrus de Jean-Luc Nancy. Alors, non seulement la condition de la traduction est la corporalité animée, mais cette dernière oblige à la translation: il n’y a pas d’autre situation que la traduction, il n’y a aucun état pur encore non traduit. Même l’incompréhension totale en témoigne. Imaginer un état (de langue, de civilisation) avant toute traduction serait comme imaginer un corps sans âme, une nature pure, un sexe biologique clairement distinct du genre, en dehors de toute médiation. Ce serait retomber dans la dichotomie nature-culture, sexe-genre, féminin-masculin, sujet-objet, intérieur-extérieur. Ce serait aussi imaginer que, dans le binôme, les deux termes puissent être égaux, symétriques et sans hiérarchie implicite. La culture est d’emblée traduction, même à l’intérieur d’une seule langue.
La traduction est déjà précédée par tant d’expériences de médiation, autant d’obstacles intimidants. Le plus difficile n’est-il pas déjà de traduire de l’intérieur vers l’extérieur, c’est-à-dire de s’exposer aux autres? De la dimension intime à la dimension publique? Et n’est-il pas caractéristique d’une force hégémonique de vouloir se réserver les codes de la traduction exclusive et de toute interprétation: on pourrait citer en exemple la volonté de puissance occidentale (de plus en plus américaine, des Etats-Unis), mais aussi toute autre prétention, par la force, à imposer un sens unique (tout totalitarisme, tout intégrisme). C’est aussi arrêter la translation, le déplacement, et comprimer le temps: voilà déjà la violence.
Par ailleurs, ouvrir par la traduction le(s) sens relève sans doute de la résistance à de tels arrêts et pratique aussi un élargissement de la temporalité, sa décompression.
Le temps est nécessaire à la traduction comme à la vie. L’instantané, les coupures dans le temps, effectuent soit un (sur)saut aimable dans le sens, soit carrément une violence et une reconfiguration dde cette dernière. Le temps de la traduction est sa qualité de rapport, de rien, que le bouddhisme a encore appelé avidyâ pour désigner le manque de connaissance à son égard forcément, puisque nous sommes en lui et qu’il est la limite du langage. Par contre, dans l’“acte“ de la traduction, comme dans tout rapport, on commence par connaître directement et sans objet.[7] C’est dans cet esprit que le temps unique, le temps arrêté diminue la possibilité et le choix des scénarios, élimine les histories alternatives (et les lectures, les traductions alternatives) les réduisant à une histoire reçue.
Accueillir par la traduction d’autres sens, c’est peut-être, comme dans l’amour, le désir, la sexualité, se mettre en traduction (et en question) soi-même, s’accoupler, se transformer. Si c’est le cas, on pourrait dire de la traduction ce que Jean-Luc Nancy dit du rapport (sexuel): „Assurément, donc, il n’y a pas de rapport au sens où il y aurait compte-rendu et comptabilité de l’excès: non pas parce qu’il y aurait dans l’excès un jaillissement interminable (qui tendanciellement reviendrait au même qu’à une entropie océanique et fusionnelle), mais parce que l’excès est simplement, strictement et exactement l’accès à soi comme différence et à la différence comme telle, c’est-à-dire justement l’accès à ce qui ne peut pas être arraisonné ou instancié comme tel, à moins que son ‘comme tel’ ne soit exposé comme ce qui n’est jamais tel (ainsi que le voudrait l’idée d’une évaluation, d’une mesure ou d’un accomplissement du rapport). De rapport en tant que rapport, de fait, il n’y a pas.“[8]
Au-delà
de la souveraineté fantasmée de l’original
La traduction est ainsi elle-même une copulation, c’est-à-dire la mise en contact, l’accrochage et le lien entre deux (dont chacun pluriel) qui seront transformés dans ce rapport. Le résultat de la traduction ne peut que différer de l’“original“, elle ne lui cor‑respondra que partiellement: elle lui répondra-en-retour-avec-lui. La traduction est ce va-et-vient des sens, avec l’impossibilité, l’inter‑diction parfois, d’accéder au sens, mais néanmoins avec un/des sens au moins dérivés, même s’il reste à la limite de l’incompréhensible. Car même l’interdit n’empêche pas complètement, il ne rend pas impossible mais rend autrement accessible. Et, comme pour le „rapport sexuel“[9], le „rapport traductif“ ne rapporte rien que l’on puisse capitaliser, mais présente excès et insuffisance chroniquement et aussi de manière aiguë. La traduction n’est jamais un calcul au résultat net. Elle rend compte d’une différence qu’elle comble imparfaitement et que parfois elle falsifie (plus ou moins) heureusement. Elle est cet acte de différer, sans qu’il y ait une origine certaine et un aboutissement définitif. Toute traduction n’est qu’un segment de truchement dans un processus infini. Elle est création au même titre que l’“original“, également bonne ou nulle, mais indépendamment. L’inégalité du même à lui-même, l’impossibilité de l’identique renvoient à l’exception qui sous-tend toute identité ou tout un qui déjà n’existerait pas s’il (elle) ne se donnait une exception ou une traduction. C’est ainsi que la souveraineté fantasmée de l’original est d’emblée scindée en tant que différé persistant, faite d’inclusions implicites en dépit des exclusions explicites. Qu’y a-t-il en-deçà de la traduction? La traduction va de toute manière au delà de l’acte concret de traduire, et de son produit. Elle est le texte se traduisant à et par nous, l’interprète, depuis son auteur, et nous traduisant car nous inscrivant aussi dans la nouvelle version. Nous transformant. Les identités des auteurs/traducteurs se brouillent. Ce n’est pas par hasard que le rapport de télescopage ou de confusion entre moi et l’autre dans l’amour mystique (en sanscrit: maithuna) implique un dépassement trans-subjectal (et trans-objectal bien sûr) et un type de connaissance différent, où „connaître“ veut dire „devenir l’autre“ , dans une jubilation trans-égotique et trans-identitaire qui révèle l’insuffisance du langage et la défaillance de toute représentation. Ce que montre l’imperfectibilité de la traduction, comme la dynamique impossible à apaiser du rapport sexuel (ainsi que du rapport social des sexes) – c’est l’inaptitude générale, de la disposition conceptuelle du rapport sujet-objet, qui est une fonction totalisante. „On devra même dire que le sexe essentiellement s’interprète: je veux dire qu’il se joue et qu’il s’exécute en se sexuant. Il se joue comme une partition: il joue sa propre partition, le partage qu’il est de plusieurs sexes.“[10]
L’horizon de (la) traduction, de chaque traduction successive ou différente, recule comme ces kosa, orbites ou poches de sens allant de l’intérieur vers l’extérieur (et vice-versa).[11] L’“impossible“ de la traduction correspond alors à l’impossible de la jouissance dont parle Nancy, et dont la solution se situe à chaque fois à un autre niveau: „S’il y a de l’impossible dans la jouissance, c’est qu’il y a de l’intime, c’est-à-dire cela (ou celle ou celui) qui recule sans fin au-delà de toute assignation possible. L’impossibilité de la jouissance (et de la traduction? R.I.) signifie qu’elle n’arrive qu’à ne pas se déposer en un état (comme dans la langue juridique où l’on ‘jouit d’un bien’), et que son aboutissement est son acte même. Mais ainsi, elle arrive: elle ne fait que ça.“[12]
On hésite à s’“intruder“. Il pourrait y avoir quelque chose d’obscène à reprendre et commenter un témoignage sur la vie en cause par exemple, un texte dramatique, intime et bouleversant. Devant certains faits de la vie, devant le courage d’en témoigner aussi, la décence demande de garder le silence. Mais en même temps, l’exposition voulue d’une intimité est d’emblée polylogue et invite à l’intervention. L’irruption est parfois conviée. Les invasions,[13] les intrusions, les métissages[14], les mêlées[15] et autres brouillages, et parfois même certaines violences,[16] ont également été source de vie, de culture et de réflexion, au-delà de leurs effets de ravage. Comment traduire de la dimension intérieure intime, à une dimension extérieure et publique?[17]
Douloureux détour de l’apprentissage de ce que l’on devrait savoir déjà. Rude érudition par laquelle on désapprend – pour savoir. „Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard...“. C’est donc aussi une affaire de temps. Car ce n’est apparemment que quand le temps devient court que l’on apprend, ou que l’on a la clairvoyance de ce regard cinématographique, rétrospectif sur la vie. Mais le temps n’a-t-il pas d’emblée été trop court? Cette rencontre avec le temps, qui ne vient qu’à certains, ne peut qu’arriver comme une foudre inattendue, une intrusion, celle qui accompagne les moments d’ébranlement ontologiques.
Il est vrai que les seuils de mise en cause ontologique, les sensibilités, peuvent être différents, et qu’ils dépendront de l’individu. Ils peuvent certainement aller de l’illumination mystique, à la transparence poétique, à la mise en abîme de la vie. A la rencontre avec la mort. Mais il faut croire que ce pas est toujours assuré sans que toutefois on sache où il se situe exactement lorsque le corps est en cause. Ce n’est pas nécessairement le cas quand il s’agit d’autres bouleversements.[18] En revanche, les chamboulements ontologiques d’ordre spirituel ou mystique peuvent aussi, d’après les témoignages, mener à l’extinction douce du corps. Toutes les „thérapies“, yoga, techniques de contemplation dont les écoles philosophiques indiennes abondent (chacune se voulant surtout pratique), en parlent. Nulle part dans la vie ne peut on mettre le doigt sur le partage entre „corps et âme“ ou „corps et esprit“. L’un ne va pas sans l’autre. La reconstruction de cet écart fait en général partie des stratégies de pouvoir. C’est aussi la limite de la représentation et celle du langage. Les formes les plus courantes de cet ébranlement ontologique sont, quand il a trait au corps, certainement, le fait de donner naissance quant il s’agit d’une femme (de produire l’autre à partir de soi, de se démultiplier), le fait de perdre un être aimé pour tout le monde, ou simplement celui de rencontrer la mort sous une forme ou une autre. Celui de vivre la violence, la guerre par exemple. Le fait de perdre pied parce que le monde qui nous soutenait s’est effondré. Mais tout incite à penser que la mise en question existentielle du corps et de la vie porte au-delà et ne fait que souligner l’abîme existentiel et ontologique – la prise de conscience qu’il n’y a pas de fondement. Dans certaines cultures, on a toujours tenté de vivre avec ce constat.
Les intrus dans la langage
Dans ce sens-là, Jean-Luc Nancy ne nous apprend rien dont nous n’ayons déjà l’intuition, tout en ayant à l’apprendre: que nous sommes tous des greffés du cœur, toute proportion gardée, expérience limite qu’il a vécue pour en être dépossédé (libéré?) aussitôt justement par son propre récit: „L’intrus m’expose excessivement. Il m’extrude, il m’exporte, il m’exproprie.“[19] En apprivoisant l’expérience irreprésentable, en dépit de la résistance du langage, par le récit qu’il en fait, il nous la fait partager, et quelque chose passe quand même. Qui n’est peut-être pas de l’ordre des anticorps, de l’ordre du virus, mais enfin ça l’est peut-être quand même presque – un virus verbal, virtuel à l’origine, qui sait: celui de la communicabilité de l’incommunicable, de la traductibilité de l’intraduisible. Salman Rushdie disait que dans la traduction l’on perd certes quelque chose, mais l’on y gagne autre chose.
Et si nous ne sommes tous que des intrus, et si nous venons tous au monde en tant qu’hôte chez quelqu’un, notre langage n’est d’emblée que traduction. Nous sommes translatés. Cette irruption chez quelqu’une perturbe surtout, et transforme, celle-ci. La nouvelle-née, elle, ne garde pas la mémoire consciente de son arrachement, certainement afin de pouvoir vivre. Cet exil depuis l’autre, elle aura à le réintégrer au cours d’un apprentissage pénible et qui s’appelle la vie. Il ne se passe absolument pas de la même manière pour les hommes et pour les femmes.[20]
„J’ai (qui, ‘je’? c’est précisément la question, la vieille question: quel est ce sujet de l’énonciation, toujours étranger au sujet de son énoncé, dont il est forcément l’intrus et pourtant forcément le moteur, l’embrayeur ou le cœur) – j’ai, donc, reçu le cœur d’un autre, il y a bientôt une dizaine d’années.“ (Nancy, p. 13).
„Je ne suis pas cela, ce n’est pas à moi, ce n’est pas mon ‘soi’“, répond le Bouddha: ce sentiment, cette expérience, ce vécu, cette certitude de mon „ego“ (aham) n’est pas mon „soi“, n’est pas mon „essence“ (âtman) et d’ailleurs il n’y a aucune essence. Non pas parce que mon ego ou mon être-propre seraient autre chose, mais parce qu’ils ne sont justement rien en soi, en tout cas rien de fixe et d’identifiable. Parce qu’il n’y a pas d’être propre, parce qu’il n’y a pas d’identité sauf construite, provisoire et en devenir, comme dans les cinq agrégats (skandha) qui configurent le vivant: le corps‑forme (rûpa), les sensations‑sentiments (vedanâ), les empreintes inconscientes de la conscience (samskârâs), la conscience (samjñâ) intuitive et conjonctive, la conscience discursive (vijñâna). Ce qui fait que nous ne sommes pas la même personne de la naissance à la mort, mais une succession, une continuité apparente et fortuite de beaucoup de discontinuités.[21] Cette réalité inconstante, évanescente, cette anti-généalogie, s’inculque à toute personne dès son enfance, pour désapprendre et déconstruire le moi avant son ancrage afin d’éviter de plus grandes douleurs et déceptions, celles de la découverte de l’inadéquation de soi à soi. Celle-ci est même le premier enseignement. Il n’est pas poli de dire „moi, je“. Il faut croire que l’ego, de même que la perspective ultérieure de sa centricité spatiale et temporelle, ainsi que la conséquente métaphysique du sujet dominant avec la projection d’un dieu unique, des formes de l’asservissement et de la domination – sont issus à l’origine de l’intérêt vital lui-même. Bien qu’il ne soit qu’en puissance à la naissance, l’ego développera sa culture, son impérialisme, sa temporalité, son système politique et social, se construira finalement en accord même avec l’Etat et avec le pouvoir, s’il n’intervient un „courbement“ culturel pour le diluer au maximum. „Il faut seulement dire que l’humanité ne fut jamais prête à aucun état de cette question, et que son impréparation à la mort n’est que la mort elle-même: son coup et son injustice.“ (Nancy, p. 24) Et pourtant, des cultures entières ont pratiqué le désapprentissage de l’ego, celles qui nous inculquent enfants, sans attendre le face-à-face avec la mort, notre statut d’intrus. Pour ce faire, elles puisent dans le même choix, les mêmes expériences existentielles que les nôtres, il n’y a pas à imaginer une altérité culturelle insurmontable ni des univers incommuniquants. Mais il faudrait sans doute dire que l’humanité occidentale n’y fut jamais prête, car d’autres humanités anticipèrent les réponses pour ne pas avoir à poser la question: elles tentèrent de la déconstruire par anticipation.
Ce regard introspectif paradoxal a pu paraître aux yeux des occidentaux comme peu politique, peu engagé, et donc peu sérieux. Il part d’un constat d’injustice ou d’inégalité qui est habituellement vu, par ici, comme „le“ politique. Il y a de la béance, il y a ce dont l’on ne peut rendre compte. Il convient cependant de ne pas penser l’“injustice donnée“, dans le concret, comme fatale, fondatrice, ou naturelle, car cela découragerait à l’avance non seulement toute activité politique, mais également toute recherche théorique à laquelle le politique, justement, invite, au même titre que tout yoga, toute tentative „thérapeutique“ et contemplative. Il n’y a rien d’inéluctable du côté de la forme de l’injustice. Le politique est ce qui appelle à la théorie, à la politique, mais aussi dans d’autres contextes que le contexte occidental, aux recherches pratiques méditatives. C’est plutôt le „manque“ associé à ces dernières, leur supposée renonciation à la politique, qui pose problème, en tout cas au regard de la philosophie occidentale.[22]
Il y a donc dans la condition humaine du préalable dont on ne peut rendre compte; ou, plus exactement, du karma. Le karma, c’est la solidarité réciproque de toutes les formes de vie. De ce point de vue, l’humanisme ne serait qu’un „speciesism“ très partial. S’il n’est ici pas toujours question d’humains, qu’est-ce qu’un tel sujet, et que sont les droits de ces éventuels „sujets sous condition“, „sujets partiels“, tels que les enfants, les malades, les cyborgs et divers intrus? Le concept deleuzien de pli est peut-être encore le plus utile, ici, pour comprendre un sujet non figé.
D’autres conventions de la pensée que celles des philosophies occidentales ont mieux su mettre en valeur le problème de ce renoncement au/du sujet éventuel, celui de la dépossession de soi (y compris a priori, par un choix de civilisation): paradoxalement, dans l’affirmation du sujet par sa propre volonté, il y a aussi la possibilité de son abdication, culturellement valorisée. La culture bouddhiste a su le mettre en valeur sur le plan social. Une certaine culture des femmes également.
La paradoxe existentiel
Ce qui est mis en évidence par ce choix culturel, c’est en effet le paradoxe existentiel. Une rapide digression doit être faite ici à propos du concept de sujet, tel qu’il est compris en philosophie occidentale: le sujet est un processus, une hiérarchie, un jugement, une volonté, une activité, un effort de maîtrise du monde (son objet). Le terme de sujet en tant que tel n’existe pas en philosophie indienne bien qu’il y ait d’autres termes qui le cernent, le recoupent.[23] Ceci ne veut pas dire que le concept soit impensable, comme on a pu vouloir nous le faire croire.[24] Pour la philosophie, bien entendu, c’est paradoxal, car cela la „désarme“ en quelque sorte à l’avance par ses propres moyens. Mais ce paradoxe s’étend au-delà de la philosophie, à toute la société indienne qui, comme le suggère Richard Lannoy en caricaturant un peu, se soigne en cette blessure intime par doses homéopathiques au moyen d’une „stratégie de désespoir“: c’est à dire qu’elle soulage le mal par un „remède“ qui lui est apparenté tout en l’érigeant ainsi, au delà de l’individuel, en idéal socialement reconnu, dont toute la société finira par s’imprégner.[25] Le paradoxe consiste en ce simple fait que la dépossession de soi doit être abordée par un minimum de volonté individuelle, subjective, et donc par l’affirmation de soi, acte intimement politique. Tout se passe comme si se soustraire - c’est le cas de le dire - à la tyrannie de l’ordre social ne pouvait se faire que par un pas de côté, par une „esquive“ en dehors du système. Citons à cet effet, et pour préfigurer le concept de kosa (enveloppes de la subjectivation) dont ils ne parlent pas, Deleuze et Guattari: „Autant dire que le système fasciculé ne rompt pas vraiment avec le dualisme, avec la complémentarité d’un sujet et d’un objet, d’une réalité naturelle et d’une réalité spirituelle: l’unité ne cesse d’être contrariée et empêchée dans l’objet, tandis qu’un nouveau type d’unité triomphe dans le sujet. Le monde a perdu son pivot, le sujet ne peut même plus faire de dichotomie, mais accède à une plus haute unité, d’ambivalence ou de surdétermination, dans une dimension toujours supplémentaire à celle de son objet. (...) Aucune habileté typographique, lexicale ou même syntaxique ne suffira à le faire entendre. Le multiple, il faut le faire, non pas en ajoutant toujours une dimension supérieure, mais au contraire le plus simplement, à force de sobriété, au niveau des dimensions dont on dispose, toujours n-1 (c’est seulement ainsi que l’un fait partie du multiple, en étant toujours soustrait). Soustraire l’unique de la multiplicité à constituer; écrire à n — 1.“[26] N’est-ce pas ainsi que se passe la naissance? Par la soustraction qui multiplie et ajoute au lieu de priver? Les kosa, de même que le rhizome deleuzien, sont une anti-généalogie. L’intrusion est bien le fait de se défaire de la généalogie, celle qui mène à la domination. La libération ne peut qu’introduire une autre logique et une résistance inattendues. Il n’y aurait pas, ici, de mobilisation métaphysique, mais plutôt une démobilisation préventive de l’accélération mortifère de la psychopathologie „capitaliste“ du „crédit“, y compris du crédit idéologique quand il y a lieu, ou de celui de l’auto‑capitalisation du sujet par lui-même.
Mais qu’en est-il de „ce qui lance la pensée“ (Lyotard) tout en ne se laissant pas penser, et qui reste donc invisible? Dans le devenir conditionné bouddhique, on dit que deux seulement des douze chaînons de la causalité générale sont radicaux: avidyâ, l’ignorance que l’on pourrait appeler aussi l’inconscient; et trshna, la soif ou le désir. A eux seuls, ces deux maillons de l’existence nous font prendre racine dans la vie, nous y attachent, font qu’il est difficile de s’y arracher, de se dépouiller de son soi.
Ces racines sont plantées profondément dans une dimension autre de ce qui représente l’idéal philosophique (nirvâna) qui consiste à déconstruire l’ego puis à s’“éteindre“. Avidyâ, à la fois ignorance et inconscient, est philosophiquement très porteur. Cette perte de mémoire fait que nous n’avons ni souvenirs ni empreintes conscientes des vies et conditionnements précédents, que nous ne savons pas les causes des effets auxquels nous faisons face, que nous ne savons pas de quel karma nous sommes faits. Avidyâ cache un en-deça de la vie qui n’est pas seulement temporel (et ainsi représenté dans la „roue des devenirs“), ou encore structurel, mais qui est aussi de manière plus complexe fondamental et structurant. „Tout me viendra d’ailleurs et du dehors en cette affaire - tout comme mon cœur, mon corps, me sont venus d’ailleurs, sont un ailleurs ‘en’ moi.“ (Nancy, p. 22) Dans ce sens, avidyâ est, avec les déterminantes (samskârâs) de la conscience (vijñâna), le karma obnubilé des existences précédentes (ou même de celle-ci), c’est à dire de la dette accumulée et dont il faudra s’acquitter pour se déposséder de soi. Avidyâ fait que nous sommes nés avec l’oubli de notre statut d’intrus. S’en défaire, signifie reconnaître l’évidence que nous venons d’ailleurs, renoncer à la généalogie de la filiation au profit de celle de l’affiliation. Tout se passe comme si l’ignorance consistait en une accumulation de subjectivité dont il faudrait se débarrasser.[27]
Le langage, aux yeux des bouddhistes comme à ceux de Wittgenstein ou même de tout poète qui se respecte, ne peut pas tout dire. Il ne le peut pas parce qu’il ne fait lui-même qu’une partie de ce tout. Si c’est le cas, c’est parce que le langage est précédé et conditionné par la vie, dont il est simplement l’une des possibilités. Il ne peut donc rendre compte de ce qui est sa condition, la vie: et c’est là qu’avidyâ se situe. En amont de toute institution ou activité humaines, il y a la naissance (la vie) qui a lieu par la rencontre des sexes, grand impensé/impensable, mais qui est le lieu‑même de notre intérêt vital, ainsi que ce qui lance la pensée.[28] La philosophie, de même que le langage, sont ainsi enracinés dans un intérêt particulier et agissent à partir de celui-ci, à partir de l’ego. Voilà le paradoxe existentiel. Il faut donc éviter de prendre pied si l’on veut éviter la souffrance qui vient de l’articulation et de l’enracinement de l’ego‑sujet. Cela est en contradiction paradoxale, mais aussi en tension créative, avec la volonté elle-même de s’effacer. Les bouddhistes relèvent ce défi au plan de la construction de leur image du monde et de leur culture.
Selon les codes de lecture, l’intérêt prioritaire que l’on se porte, reste plus ou moins voilé. Son invisibilité vient de l’au-delà de l’écran dit avidyâ, celui de l’ignorance de l’origine inscrite dans le langage en tant qu’inconscient. Cette ignorance est aussi l’impensable de la différence des sexes. Ce qui est impensable en celle-ci, ce n’est peut-être pas la différence en tant que telle, c’est surtout le fait qu’elle est notre origine, ou que celle-ci se trouve en dehors de nous. Avoir l’origine dans l’autre, lui devoir la vie, voilà l’intolérable là ou l’existence est façonnée selon le principe identitaire et la centricité du soi.[29] La généalogie idéale et impossible, suicidaire en ultime analyse, serait celle de naître et de n’être que par soi-même (svayambhû), liée avec le pouvoir et avec l’histoire de la domination.
„Je viens d’ailleurs, ou bien je ne viens plus.“ (Nancy, p. 17) C’est la défaillance du cœur qui le révèle. Mais ne venais-je pas d’ailleurs dès avant? D’ailleurs, même avant de venir ou de ne plus venir? D’un ailleurs sans lequel ailleurs il n’y aurait ni venir ni ne pas venir. Venue de cette autre que je ne suis plus mais que j’ai été ou plutôt qui m’a été, et qui m’a produite en se transformant très radicalement. Faite en m’expulsant comme une étrangère mais par un bannissement salutaire, amical, celui qui créée l’entre-deux pour permettre la reconnaissance de l’unité? Par soustraction. Une production de l’autre sans sacrifice ni revendication. L’intruse „extrudée“ mais non écartée, renvoyée mais gardée près, tolérée et bienvenue, celle dont jamais plus on n’aura à se libérer. Celle qui reste à portée pour créer la communauté donnée dès/par la venue au monde et non seulement face à la mort. La production de cette autre qui me produit en tant qu’autre de moi-même pour être ce que je suis. Tout un projet de résistance au monothéisme et, encore une fois, à sa généalogie.[30] Patriarcale, forcément.
„Ainsi, l’étranger multiple qui fait intrusion dans ma vie (ma mince vie essoufflée, parfois glissant dans le malaise au bord d’un abandon seulement étonné) n’est autre que la mort, ou plutôt la vie/la mort: une suspension du continuum d’être, une scansion où ‘je’ n’a/ai pas grand-chose à faire. La révolte et l’acceptation sont également étrangères à la situation.“ (Nancy, p. 25) C’est tout à l’honneur de Jean-Luc Nancy de rendre compte de ce que ce n’est ni de l’ordre de la révolte, ni de l’ordre de l’acceptation. Et que si cela ne provoque pas la révolte, cela ne signifie pas pour autant l’acceptation. Le registre est ici celui de „la vie/la mort“. Celles-ci vont toujours ensemble, la mort n’est pas le grand autre même si elle est l’inconnu de la vie. Elle n’est pas la transcendance, elle n’est pas la solution. Elle est de la même famille que la vie. C’est difficile à concevoir. C’est pourtant clair à toute pensée qui n’est culturellement pas moulée par les dualismes autant que le nôtre. La ligne de partage entre le jour et la nuit, le féminin et le masculin, la vie et la mort, le rationnel et l’irrationnel, le bien et le mal, est alors beaucoup moins péremptoire, beaucoup plus incertaine.
„La vie ‘propre’ qui n’est dans aucun organe et qui sans eux n’est rien.“ Où se situe la vie? D’emblée dans la vie. Déjà traduite et trahie. Mais encore dans des conditions extérieures à elles: „Vie qui non seulement survit, mais qui vit toujours proprement, sous une triple emprise étrangère: celle de la décision, celle de l’organe, celle des suites de la greffe.“ (Nancy, p. 27-28) Serait-ce que l’“étranger“, alors, n’est pas si étranger que cela?
Les dieux et les démons sont de la même origine, ils sont le „peuple“ puisque tous descendants de Prajâpati, le père des générations.[31] Il y a plusieurs épisodes dans les upanishad où il s’agit pour les uns et les autres de s’assurer et de voir laquelle des fonctions vitales l’est vraiment, laquelle est „brahman“, suprême, celle sans laquelle la vie ne se maintiendrait pas.[32] Une compétition est organisée, après laquelle on constate que l’on peut vivre sans parole, en tant que muet; sans vue, en tant qu’aveugle; sans ouïe, en tant que sourd; sans raison, en tant qu’infantile; sans bras ou jambes, en tant qu’estropié. Mais on s’aperçoit alors que ce sont le souffle (prâna) et le „soi intelligent“ (prajñâtman) qui animent le corps et le font vivre. Ceux-ci partis, il n’y a plus de vie.[33] Et si le „soi‑intelligent“ n’est pas localisé, le manas (le „mental“), la pensée et son organe, le sont, dans le cœur. Dans la „caverne du cœur“, ce microcosme du for intérieur, qui permet aussi, dans les exercices de yoga, de se retrancher, retirer en soi, pour se connecter à l’univers. Située dans le cœur, la pensée est vitale, elle est la vie elle-même. Mais c’est aussi le lieu du carrefour avec les circuits extérieurs, le pivot entre les dimensions. Le cœur/pensée est comme un nombril qui ne se serait jamais cicatrisé, qui reste ouvert et relié au monde. C’est aussi ... „une possibilité de réseau où la vie/mort est partagée, où la vie se connecte avec la mort, où l’incommunicable communique.“ (Nancy, p. 30) „Je suis ouvert fermé“, non identique à soi, n’ayant pas pu maintenir le principe d’identité impossible à sauvegarder, tenue pourtant, toujours tenté dans un souci de conservation qui est parfois aussi celui d’épargner la vie. Contradictoire en soi-même donc. Marquant ce paradoxe insoutenable qui veut que nous sommes à la fois mortels et transcendants. Mortels dans l’individu, transcendants en commun. „Il y a là une ouverture par où passe un flux incessant d’étrangeté: (...) toute l’existence mise sur un nouveau registre, balayée de part en part.“ (Nancy, p. 35) Ce que Jean-Luc Nancy a écrit là où je me suis permis, dans la citation‑déplacement, une parenthèse vide, n’est pas peu: „les médicaments immuno-dépresseurs“, la qualité de vie bouleversée, gâchée, mise sur un nouveau registre, en effet. Une autre dimension existentielle. On accède à une autre dimension par le bouleversement de la précédente. On n’en reste pas moins tributaire du kosa précédent, car il nous reste toutes les empreintes karmiques qui font que nous avons une continuité, même si c’est dans la discontinuité, avec notre propre identité, ne fut-elle que provisoire, évanescente, etc. C’est la souffrance qui est donnée avec la vie, qui en fait partie. „On en vient à une certaine continuité dans les intrusions, à un régime permanent de l’intrusion.“ (Nancy, p. 40)
Le
remède?
Les médicaments, nous l’avons vu, viennent après, ils font partie de la nouvelle configuration et en sont la partie insoutenable mais indispensable. Ambigus comme tout pharmakon. Il n’y a pas de bons remèdes a posteriori. On peut essayer, certains systèmes le tenteront, de se construire un univers configuré ainsi pour que cela fasse moins mal. Le lieu privilégié de cette intervention est le „soi“, l’ego, le sujet, le point d’ancrage de l’individu au monde:
„Je le sens bien, c’est beaucoup plus fort qu’une sensation: jamais l’étrangeté de ma propre identité, qui me fut pourtant toujours si vive, ne m’a touché avec cette acuité. ‘Je’ est devenu clairement l’index formel d’un enchaînement invérifiable et impalpable. Entre moi et moi, il y eut toujours de l’espace-temps: mais à présent il y a l’ouverture d’une incision, et l’irréconciliable d’une immunité contrariée.“ (Nancy, p. 36) L’enchaînement dont il est question s’appelle, ailleurs, pratitya-samutpâda, le devenir conditionné, ou la causalité. Dans le premier bouddhisme, „ceci étant, cela a lieu“, toute chose est en constant devenir, les causalités sont complexes et incontrôlables, et tout dépend de tout. C’est bien pour cela que notre karma ne nous est jamais connu, il ne peut être qu’exemplifié par ce que nous sommes ou faisons à chaque instant, car il est en chaque moment recalculé d’après des enjeux qui prennent en compte tout le passé, et pas seulement le „nôtre“ propre, puisque, dans le passage d’une vie à l’autre, il n’y a pas de transmission d’identité individuelle. Ainsi le karma n’est-il pas une rétribution pour nos actions, il est la causalité complexe qui embrasse tous ceux avec qui nous sommes en interaction. A la limite, en le posant de manière presque anecdotique, c’est comme si le karma d’un(e) autre pouvait aussi coller à nous. Le karma serait également ce qui informe les différents degrés des kosa (poches de subjectivation allant se dissolvant). La subjectivation n’est tolérée en philosophie indienne (bouddhique ou brahmanique) qu’en tant que devenir provisoire, instable, flexible ou même fluide, coïncidence d’éléments qui seront à leur tour dépassés, tels que par exemple les cinq skandha, composantes psycho-physiques de l’identité subjectivante du bouddhisme. Et à corriger et dissoudre. Ce qui est sûr dans l’enchaînement de la causalité, qui tient compte de ce que la vie est partagée, c’est que le point de départ en est l’ignorance (avidyâ). Inconscience justement de ce conditionnement, du karma, de l’origine, du provisoire de toute identité. Ignorance de notre propre intrusion. Celle-ci, il faudra l’apprendre, douloureusement, car il s’agit de se déprendre de soi. Le soi, tout fictif[34] ancre ou éphémère qu’il est dans son désir (trshna) et dans son intérêt. Il plie le monde à sa perspective. Il tâche de se maintenir identique à lui-même autant que possible. Quand il n’y arrive pas, il ne se reconnaît plus, il se perd:
„On sort égaré de l’aventure. On ne se reconnaît plus: mais ‘reconnaître’ n’a plus de sens. On n’est, très vite, qu’un flottement, une suspension d’étrangeté entre les états mal identifiés, entre les douleurs, entre des impuissances, entre les défaillances. Se rapporter à soi est devenu un problème, une difficulté ou une opacité: c’est à travers le mal, ou bien la peur, ce n’est plus rien d’immédiat - et les médiations fatiguent.“ (Nancy, p. 39) Il s’agit certes d’une forme extrême et très éprouvante de non-reconnaissance. Et pourtant, la non-reconnaissance de soi, tout le monde la connaît. A commencer par le miroir, les photos anciennes ou le regard des autres. Traditionnellement, dans l’esthétique brahmanique, la (ré)connaissance a un statut spécial, mais elle n’est pas autonome: il faut un signe extérieur pour y parvenir. Plus important, toute connaissance serait une re‑connaissance. Au-delà de l’instabilité des supports (qui n’est pas l’affaire du brahmanisme, il est vrai), la re‑connaissance est quelque chose qui relève d’une communion. Elle ne peut pas avoir lieu dans l’isolement, dans l’identité à soi. Elle a lieu grâce à autre-chose. Dans la pièce de théâtre classique de Kâlidâsa, Sakuntalâ, cette dernière est reconnue par le roi grâce à la bague qu’il lui avait donnée, puis oubliée. Chez Abhinavagupta, le philosophe esthéticien du Cachemire du 10-11e siècle, c’est bien la re‑connaissance qui permet la récupération de l’identité, ou de l’adéquation à soi, mais dans un autre registre, toute proportion gardée.
„L’identité vide d’un ‘je’ ne peut plus reposer dans sa simple adéquation (dans son ‘je = je’) lorsqu’elle s’énonce: ‘je souffre’ implique deux je l’un à l’autre étrangers (se touchant pourtant). (…) Mais dans ‘je souffre’, un je rejette l’autre, tandis que dans ‘je jouis’ un je excède l’autre. Cela se ressemble, sans doute, comme deux gouttes d’eau: ni plus, ni moins.“ (Nancy, p. 39)
Tout se fait sous cette condition qui prend tout l’horizon. Est-ce la seule? Sûrement pas, mais c’est la plus insupportable. Sinon, il y a d’autres conditions inaliénables qui sont données. C’est bien ce qui incite certains à se retirer du monde. Mais il y a un seuil insurmontable et une différence de qualité lorsqu’il s’agit de maladie. Lorsque le corps et en cause: „L’intrus m’expose excessivement. Il m’extrude, il m’exporte, il m’exproprie.“ (Nancy, p. 42.)
„L’intrus n’est pas un autre que moi-même et l’homme lui-même. Pas un autre que le même qui n’en finit pas de s’altérer, à la fois aiguisé et épuisé, dénudé et suréquipé, intrus dans le monde aussi bien qu’en soi-même, inquiétante poussée de l’étrange, conatus d’une infinité excroissante.“ (Nancy, p. 45.) Ceci n’est pas par hasard la dernière page du troublant petit livre de Jean-Luc Nancy: elle signifie la fin d’un apprentissage. La reconnaissance douloureuse de l’origine propre dans l’autre, de l’impossibilité du maintien du principe d’identité (sauf à pratiquer la violence), de l’abandon de la généalogie
Comme on ne peut situer exactement la vie, sauf à dire où les conditions n’en sont plus remplies, on ne peut situer l’identité, bien qu’on puisse en percevoir les limites. C’est comme si l’espace des identités restait flou et indéfinissable, si ce n’est que pour cet interface (cette barre) qui les montre sans pouvoir les définir, et qui n’est rien en lui-même mais qui, par elles, se dessine provisoirement: la vie/la mort, l’identité/la non-identité: „A tous le moins, il se produit ceci: identité vaut pour immunité, l’une s’identifie à l’autre.“ L’immunité intervient dans l’identité? „Les vieux virus tapis depuis toujours…“ (Nancy, p. 33) Ils ne viennent pas nécessairement de l’extérieur, ceux-là. Ils prennent de l’élan au détour du karma. Car rien ne se répète pareil, rien ne se maintient identique. Tout est recyclé en chaque instant par les nouvelles circonstances, les virus aussi.
Un avenir commun dans la langue
Le témoignage de J.-L. Nancy lui-même montre combien la traduction – celle d’une dimension intime vers la mise en abîme devant le risque que comprend son dévoilement extérieur – est elle-même dépendante du corps. Elle est la tentative de surmonter les limites de celui-ci, c’est-à-dire du donné (qu’il soit greffé ou „naturel“). Mais tout nous vient d’ailleurs: c’est cet ailleurs en nous, constitutif de et traversant notre corps animé, c’est notre propre altérité, qui gère la traduction et représente les limites. Nous n’avons plus de recours transcendant possible, et le „fondement“ de la raison et de la déraison est le même. La traduction ainsi que la compréhension est donc impossible a partir d’une position transcendantale („American values“ au lieu de „interests“, dit Veena Das) et d’universalisation du propre modèle (hégémonie totalisante). Elle devient possible en tant que participant d’un „projet“ dont l’enjeu est aussi la traductrice/le traducteur, et qui n’est pas un rapport objectal d’un sujet maîtrisant son objet (un texte). Au contraire, la traduction n’est possible que si l’“original“ et le traducteur s’en trouvent transformés, et que si le résultat (le traduit) coexiste avec son „original“ différé et transformé de sens, en relation de traduction interminable ou de tension „traductive“ constante et constructrice d’univers.
Comment alors connecter plutôt que traduire une dimension politique‑publique à une dimension intime, méditative, celle qui entreprendrait de changer le monde en commençant par soi: le transformer en le débarrassant de soi, en le/se décentrant?
Aux yeux de l’Occidental stéréotype épris de politique lié(e) au pouvoir, il n’y a pas de passage possible, car le moi, l’ego, le sujet, ne peut jamais être mis en cause sauf à déposséder le citoyen, et à le priver d’emprise politique, civique, sociale. Le politique est-il pensable sans métaphysique du sujet? Ne peut-on imaginer une citoyenneté à partir d’une différente configuration de la subjectivation? Certes, on a essayé maintes fois, et l’on tente encore de concevoir le sujet comme dilué et plus justement reparti sous condition d’une configuration communautaire (Marcos pour le Chiapas; divers communautarismes), valorisé même comme multi-culturalisme (et apartheid de cultures co-existante) – par la reconnaissance. Mais comme la gêne intervient quand il s’agit d’exposer l’intime, ainsi une inadéquation et même une incrédulité est fortement ressentie lorsqu’il s’agit d’articuler la dimension politique d’un acte individuel de dépossession de soi. Pourtant, l’aventure que l’on pourrait qualifier de traduction d’un contexte vers l’autre, d’une culture à l’autre, a été tentée ponctuellement à des degrés différents et de manière très variée par des individus (W. Benjamin, M. K. Gandhi, L. Wittgenstein, etc.) ou des mouvements (théologie de la libération) qui laisseraient caduque la question de la laïcité à proprement parler, et introduiraient nécessairement une révision de la temporalité. Car l’intervention dans l’espace politique par une méditation intime suppose aussi une responsabilité multiple non-fatale et un temps composite faits d’histoires alternatives enchevêtrées: la temporalité karmique de la non-détermination, contrairement à ce que l’on a pu attribuer en matière de „destin“ au concept de karma et à son contexte conceptuel. C’est en ce dernier horizon vital, espace de la vie tout court, que se joue l’ultime langage et la dernière langue, la traduction. Car, de langue, il n’y en a guère qui ne soit déjà elle-même (en) traduction, puisqu’il n’y a pas d’original originaire sauf à se réinventer une Révélation. Celle-ci n’a d’ailleurs servi qu’à cela – à endiguer les vagues successives de traduction venant avec cet exil originaire de soi que représente toute culture.[35] La référence a la tradition a elle aussi servi a cela, a se reconnaître toujours une continuité dans la discontinuité.
C’est une chose que de prétendre que toute culture est traduisible (point de vue démocratique) ou que toute est intrinsèquement intraduisible (les guerres de civilisation): les deux positions sont reconduisibles à une même dichotomie foncière. C’en est une autre de voir tout langage, toute culture comme d’entrée de jeu une tentative de traduction c’est-à-dire d’extériorisation. C’est cette forme et cette dynamique de traduction permanente qui, seule, peut „donner un avenir commun et réciproque dans la langue“.[36] Un „avenir commun dans la langue“, c’est aussi l’interdépendance mutuelle de toutes les formes de vie, c’est ne pas se mettre au centre, c’est aussi une relation partagé envers la mort. Il sera mis en exercice par la construction de la citoyenneté et le type d’ego, de soi, de sujet qui sera cultivé.
Il y a une apparente ressemblance entre la thèse de l’intraductibilité générale et celle de la traduction permanente, à ne pas confondre. La traduction permanente suppose la difficulté exaspérante et l’inachèvement de principe de toute tentative de traduction. C’est le fait d’être soi-même en translation. C’est à ce prix-là que la traduction reste fidèle à la vie et en garde le geste, en éludant constamment de se mettre en état de grâce, c’est-à-dire d’exception, c’est-à-dire de finitude. La mort, elle, existe dans les deux, mais pas de la même manière. Dans l’hypothèse de l’intraductibilité des culture et des langues, qui est aussi celle de la violence inévitable, elle ne fait pas partie du cycle vital, mais y intervient en tant qu’aboutissement‑résultat, seule issue certaine du choix de l’intraductible: le grand manichéisme du bien et du mal, l’incapacité de se mettre dans la peau de l’autre. Dans l’hypothèse de la traduction permanente, qui, elle, ne va jamais de soi, et donc sous condition de toujours lui donner un coup de main, d’œuvrer à ouvrir le sens (un, des, nouveaux sens), de se donner le temps, d’accepter de se décentrer, de se mettre à la place de l’autre[37] – la mort fait partie du cycle et n’est en général pas infligée par un excès de violence inconcevable. Entre les deux (la variante de la traductibilité n’étant pas logiquement autonome) il y a tout un éventail, mais aussi le choix. Il y a des degrés de traduction et de traductibilité. Personne, aucune nation, n’est sans doute fatalement clouée à l’un ou à l’autre, comme personne n’est à l’abri de (pratiquer) la violence. La traduction permanente fait aussi qu’aucune histoire n’est arrêtée.
Mais comprenons nous bien: chacun(e) est alors une traductrice à jamais traduite. Traducteurs et traductrices de tous les pays, encore un effort!
* La partie de ce texte consacrée a L’intrus de J.-L. Nancy a été publiée sous le nom: „La lezione del karma di Jean-Luc Nancy“, in Ou. Rifflessioni e Provocazioni, vol. X, n. 2, 2000 (Edizioni Scientifiche Italiane): Atti del Convegno Invasioni di filosofia (Cosenza, 20-22 luglio 2000), sous la dir. de F. Dionesalvi & F. Garritano, pp. 59-67.
J’ai par ailleurs appelé „Nous sommes en traduction“ un texte autrefois publié dans Femmes sujets des discours 2, CEDREF, 1990, pp. 37-39. Si je le rappelle ici, c’est que je reviens à une réflexion commencée vers la fin des années quatre-vingts, en collaboration avec la philosophe Eva Meyer de Berlin, la sinologue‑philosophe Maja Milčinski de Ljubljana, l’écrivaine Ilma Rakusa de Zurich. Ce travail commun fut publié dans la revue encore tapuscrite de Berlin-Est, Verwendung (novembre 1989) comme: „Übertragen, sagt sie. Ein Litteraturkvartett“. Le texte „Nous sommes en traduction“ de 1990 fut l’un des jalons d’un cheminement commun dans la même directions, en particulier par la suite avec Ilma Rakusa: il s’agissait d’un échange d’essais épistolaires pluri-lingues à partir des langues que nous partagions ou qui nous partageaient.
Transeuropéennes n° 22, 2002, „Traduire, entre les cultures“, pp. 121-145.
[1] C’est un tout cas ce qui fait penser l’entreprise de se mettre en traduction de Jean-Luc Nancy, dans L’Intrus, Galilée, Paris, 2000.
[2] Jean-François Lyotard, Le différend, Minuit, Paris, 1983.
[3] Veena Das, Critical Events. An Anthropological Perspective in Contemporary India, Oxford University Press, Delhi, 1995.
[4] Voir Jean-François Lyotard, L’Inhumain. Causeries sur le temps, Galilée, Paris, 1988.
[5] Le sexe de la nation, livre inédit.
[6] Je remercie Veena Das d’avoir ramené ma pensée sur ce sujet dont nous avons parlé à bâtons rompus aux long des années. Voir son texte „Violence and Translation“, Anthropological Quaterly, vol. 75, n. 1, winter 2001, pp. 105-112 ou http://www.ssrc.org/sept11/essays/das.htm et „The practice of organ transplants : networks, documents, translations“ in : Margaret Lock, Alan Young, Alberto Cabrosio (eds.), Living and Working within New Medical Technologies. Intersections of Inquiry, Cambridge University Press, pp. 263-287. Le text publié dans ce numéro est en partie une réaction à sa pensée et aux échanges que j’ai eus avec elle.
[7] C’est toute la différence entre vidya et prajñâ.
[8] J.-L. Nancy, L’“il y a“ du rapport sexuel, Galilee, Paris, 2001, p. 52.
[9] J.-L. Nancy, op. cit., p. 17.
[10] J.-L. Nancy, op. cit., p. 43.
[11] La Taittirîya‑upanishad élabore du côté brahmanique la théorie des kosa, les „enveloppes“ de l’identité. Le for intérieur de l’homme, qui est à la fois conscience et connaissance, est identifié au suprême. Entre le corps et la conscience il n’y a qu’une différence de degré, ils son enchâssés l’un dans l’autre. L’enveloppe extérieure, la plus grossière, est corporelle, et également celle qui, étant la base matérielle, est à l’origine de toutes (inversion). Depuis l’extérieur vers l’intérieur, la Taittirîya reconnaît les enveloppes suivantes : annamaya, faite de nourriture (la matière, le corps); prânamaya, faite de souffle; manomaya, faite du mental ou de la pensée (manas: mens (lat.), „mind“); vijñânamaya, faite de conscience (qui n’a plus rien à voir avec l’ego); ânandamaya, faite de ânanda, satisfaction‑sans‑besoins ou contentement, en quelque sorte; ce niveau précède la libération, moksha, de laquelle rien ne pourra jamais être dit ou en tout cas témoigné sur le plan subjectif. Chaque kosa joue le rôle d’horizon de libération ultime pour le précédent mais se déplace aussitôt approché, et ceci dans les deux sens. La libération absolue ne peut elle-même être pensée qu’en tant que relative. A mesure que, sur le chemin de la délivrance, nous approchons le centre du cœur (terminologie du yoga; le cœur étant également le siège de la pensée), la subjectivité relative se dissout de plus en plus dans le néant, elle disparaît. Plus nous approchons le moksha au sein du „refuge du cœur“, moins il est possible de parler de subjectivité, de jîva (unité de vie individuelle), etc. Pour la Taittirîya et autres upanishad, voir: Upanishad, sous la dir. de Carlo della Casa, U.T.E.T, 1976 , pp. 281-302, ou The Principal Upanishads, trad. & dir. par S. Radhakrishnan, George Allen & Unwin LTD, Londres, 1953, pp. 525-565. Pour une partie de traduction, voir: „Taittîriya Upanishad“, in Le Veda. Premier livre sacré de l’Inde, t. 2, textes réunis et présentés par Jean Varenne, Marabout Université, Paris 1967, pp. 670-683. Egalement: Kausitaki Upanishad, Svetasvatara Upanishad, Prashna Upanishad, Taittiriya Upanishad, tr. par L. Renou, A. Silburn, J. Bousquet, Em. Lesimple (un volume), Librairie d’Amérique et d’Orient, Paris, 1978.
[12] J.-L. Nancy, op. cit., p. 45-46.
[13] Voir le numéro spécial de Ou. Rifflessioni e Provocazioni, vol. X, n. 2, 2000 (Edizioni Scientifiche Italiane): Atti del Convegno Invasioni di filosofia (Cosenza, 20-22 luglio 2000), sous la dir. de F. Dionesalvi & F. Garritano.
[14] Alain Brossat, „Métissage culturel, différend et disparition“, in Lignes 06, „Identités indécises“, octobre 2001, pp. 28-53.
[15] Jean-Luc Nancy, „Eloge de la mêlée“, in: Transeuropéennes n.1, automne 1993, pp. 8-18.
[16] R. Iveković, Autopsia dei Balcani. Saggio di psico-politica, Cortina, Milano, 1999.
[17] Veena Das, „Violence and Translation“, op. cit.
[18] Slavenka Drakulić, Hologami straha (Hologrammes de la peur), GZH, Zagreb, 1987. Il s’agit du récit romancé d’une transplantation de rein particulièrement dramatique.
[19] J.-L. Nancy, L’Intrus, op. cit., p. 42. Les pages des citations suivantes seront indiquées avec celles-ci dans le texte.
[20] R. Iveković, „Les femmes, le nationalisme et la guerre“, Peuples Méditerranéens 61 (Yougoslavie. Logiques et l’exclusion), dec. 1992, pp. 185-201.
[21] R. Iveković, Pregled indijske filozofije (Un aperçu de philosophie indienne), Institut za filozofiju, FF, Zagreb, 1981.
[22] Romano Màdera, L’alchimia ribelle. Per non rassegnarsi al dominio delle cose, Palomar, Bari, 1997.
[23] Certaines des idées ici présentes apparaissent dans un autre contexte dans: R. Iveković, „La violenza della partizione“, in aut-aut 293-294, 1999, p. 68-78c
[24] Je retiens qu’il peut y avoir concept là où il n’y a pas de terme. Ce concept existe en philosophie indienne „en creux“, comme ce que l’on a toujours essayé de refouler, d’éviter. Voir R. Iveković, Orients. Critique de la raison post-moderne, Blandin, Paris, 1992.
[25] Richard Lannoy, The Speaking Tree. A Study of Indian Culture and Society, Oxford Universiy Press, London – Oxford – New York, 1971, p. 364.
[26] Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux. Capitalisme et schizophrénie, Minuit, Paris, 1980, pp. 12-13.
[27] R. Iveković, „Lyotard est-il bouddhiste?“, dans Orients. Critique de la raison post-moderne, Blandin, Paris, 1992.
[28] J.-F. Lyotard, L’inhumain. Causeries sur le temps, Galilée, Paris, 1988.
[29] Fabio Ciaramelli, La distruzione del desiderio. Il narcisismo nell’epoca del consumo di masa, Dedalo, Bari, 2000.
[30] J.-L. Nancy, Le regard du portrait, Galilée, Paris, 2000.
[31] Chândogya-upanishad, 1.2. sq.
[32] Brhadâranyaka-upanishad, 2.
[33] Kaushîtaki-upanishad, 3.3 sq., et autres passages des Upanishad. Le récit varie, et ne parle parfois que du souffle. Le fait d’introduire, comme ici, l’intelligence est intéressant. L’intelligence est une caractéristique de la vie tout court.
[34] Evoquer Etienne Balibar, ici, ou Benedict Anderson, serait il excessif? Au contraire, ils apportent, avec leurs concepts des identités fictives (Balibar), ou des identités imaginaires (Anderson), toute proportion gardée, l’argument qu’il nous faut. Toute identité est construite, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’ait point de réalité ou qu’elle ne fonctionne pas.
[35] Fethi Benslama, Une fiction troublante. De l’origine en partage, Editions de l’Aube, La Tour d’Aigues, 1994.
[36] Voir Veena Das dans Transeuropéennes n° 22, 2002, „Traduire, entre les cultures“.
[37] Voir I. Wallerstein dans Transeuropéennes n° 22, 2002, „Traduire, entre les cultures“.