09 2003
A r/c tivisme dans des espaces physiques et virtuels
Traduit par Yasemin Vaudable
Reconquérir
les rues, produire un public émancipatoire – comment
cela fonctionne-t-il dans une société que beaucoup qualifient
de société de l'information, dans laquelle le spectacle
a apparemment remplacé le débat politique, dans lequel
le modelage de l'espace citadin selon des contraintes
économiques néolibérales ne cesse d'avancer?
Ce
qui, depuis les manifestations contre le sommet de l'OMC
à Seattle sûrement, cherche à pénétrer la scène
d'un public globalisé[1],
manquant de clarté politique certes[2],
mais revêtant un caractère unique dans le pot-pourri
des formes d'expression, constitue une pratique dans
la manière de traiter de telles questions.
Que
se passe-t-il derrière les coulisses des images vidéo
multicolores de ces manifestations (images qui de par
leur forme, la manière dont elles sont produites et
le discours dans lequel elles s'inscrivent, restent
pour la plupart tout à fait imprégnées de l'influence
des schémas traditionnels)? Qu'est-ce qui se déroule
dans les espaces d'ateliers virtuels et physiques des
mouvements, interconnectés sur une échelle mondiale?[3]
Quelle relation l'espace virtuel de l'Internet entretient-il
avec de "véritables" lieux géographiquement
définissables? Sont-ils clairement délimitables l'un
de l'autre, comment se fondent-ils l'un avec l'autre?
Comment la conception de l'espace et de la communication
évolue-t-elle avec l'adoption extrêmement rapide des
technologies d'information les plus récentes au sein
du groupe relativement petit, relativement privilégié[4]
de média-activistes alternatifs?
Au sein du réseau noborder européen [5] et dans Indymédia UK[6] je vis des espaces virtuels et physiques presque comme un seul espace de communication, dans lequel les limites entre espace "véritable" et espace "virtuel" deviennent de plus en plus floues. En effet, le média-activisme ne signifie pas seulement "créer des images/des textes et les monter", ou regarder des clips vidéo ou audio en cliquant sur une souris – il signifie aussi l'utilisation de l'Internet comme espace de travail, centre social, atelier de projets; l'adoption technique et sociale de technologies telles que WiFi, streaming, les connexions satellite sur le bureau et dans l'espace public physique. Cette expansion de l'espace de communication pourrait indiquer des pratiques de production de soi et du public, d'organisation et de création de réseau politique, voire peut-être même montrer des voies du "comment continuer maintenant". Je décrirai cette pratique émergeante en prenant comme exemple le camp frontalier de Strasbourg[7] et les manifestations d'Evian contre le sommet du G8 (juin 2003), y ayant respectivement participé moi-même sur place et depuis mon bureau.
Camp frontalier à Strasbourg
En 2002, Strasbourg fut choisi, avec une intuition ciblée quant à des lieux "réels" symboliquement importants, comme scène pour un camp frontalier. Sous ses multiples aspects, la ville renvoie aux thèmes du réseau noborder européen: l'emplacement géographique à une frontière qui démontre le caractère fortuit du tracé de frontières nationales, le rôle de Strasbourg en tant que capitale européenne, mais avant tout la proximité du Système d'Information Schengen (SIS)[8], ont réuni des discours-clé du réseau noborder. Sous la dénomination de dsec – Database System to Enforce Control – un petit groupe avait, au préalable, pris l'initiative de traiter des contextes du contrôle frontalier dans l'espace physique et virtuel. Des artistes et des mordus de la technologie furent invités dans le but d'effectuer un travail pratique et théorique sur le "free movement and free communication" (libre circulation et libre communication).[9]
Avec
deux à trois mille participants, européens pour la plupart,
Strasbourg fut de tous les camps frontaliers depuis
1998 non seulement le plus grand mais aussi le mieux
équipé du point de vue des technologies de l'information.[10]
Dès l'entrée du camp se dressait le centre des médias,
appelé "Silicon Valley". L'on y actualisait
diverses pages d'Indymedia, l'on pouvait y monter du
matériel audio et de film pour ensuite l'envoyer par
webstream et radio pirate, l'on y scannait, imprimait,
photocopiait, programmait et envoyait des messages électroniques.
Un accès Internet sans interruption par modem DSL à
haut débit y était fourni, les détenteurs d'un ordinateur
portable pouvaient se connecter via une connexion sans
fil – souvent avec des cartes empruntées. Le
groupe hollandais Ascii avait, dans une sombre yourte,
construit une dizaine de terminaux. Les émissions
d'une radio de camp furent réalisées au
milieu d'un tas de câbles, de prises, d'amplificateurs
de son, de microphones, d'ordinateurs et d'ordinateurs
portables dans un chapiteau loué, que l'on avait monté
ensemble. Diverses
unités de médias mobiles s'établissaient à "Silicon
Valley", telles que le bus vidéo de AK Kraak et
un bus radio d'Allemagne.
Là,
au début de la promenade parcourant tout le terrain,
se trouvait également le bus à deux étages de la VolxTheaterKarawane
(CaravaneThéâtrePublix) de Vienne en stationnement de
nuit, un petit bistrot sympathique où passer quelques
heures le soir, une scène, un terrain de jeux, un point
de rencontre, un cinéma, un atelier d'actions, une galerie,
équipé d'un système sonore, mais aussi un centre de
média avec quatre ordinateurs servant constamment à
écrire des textes, téléverser des images, monter et
diffuser des programmes radio.[11]
Malgré l'équipement impressionnant en technologies de l'information, l'on était d'accord sur un point dès le troisième jour du camp: "Communication is fucked", le flux d'information interne ne fonctionnait pas. L'"Infopoint" à l'entrée explosait tout comme l'"Action Tent" dans un tourbillon à peine digeste de banderoles en papier bondées de remarques inscrites au feutre, l'émetteur radio interne fut soit ignoré, soit incapable de fournir les informations correctes. D'innombrables groupes dont les approches correspondaient les unes aux autres, comme par exemple les gens de deportation class, de (s)iberia, de kanak attak, de mib ou de yo mango se trouvaient sur le même terrain, mais sans public interne qui leur aurait permis d'établir un contact entre eux.
Pertes par frottement
Comment se fait-il que la communication ne fonctionnait pas, et ce alors qu'il s'agissait justement d'une réunion d'activistes excellant dans l'art de la communication? En effet, un grand nombre de personnes présentes étaient finalement toujours parvenues, durant ces dernières années, à mettre sur pied des interventions internationales de très grande envergure malgré des barrières linguistiques, et ce sur de longues distances géographiques, en dépit de différents modes d'organisation et de différents contextes politiques, par une utilisation intensifiée des messages électroniques, de sites web et de chats. Des raisons vraisemblables seraient peut-être le manque d'une manifestation planifiée à l'avance parallèlement à une mobilisation de taille, incluant consciemment pour la première fois des contextes du mouvement de protestation mondial comme par exemple People's Global Action, ou encore la gestion de structures non-hiérarchiques auto-organisées dont le développement nécessite plus de dix jours. Se pourrait-il néanmoins que le chaos de communication interne soit aussi dû à des pertes par frottement lors de la fusion de l'espace virtuel et physique?
Parc du Rhin comme liste e-mail
Certains éléments indiquent que le mode de communication de l'espace virtuel était inconsciemment appliqué à l'environnement matériel des rivages du Rhin sur lesquels le camp s'étendait. Chaque groupe plantait ses tentes sur les bancs de pelouse longs et étroits longeant le Rhin, tout comme l'on jette une idée dans une liste e-mail. Une liste e-mail fonctionne, techniquement parlant, de manière horizontale. Chacun/e peut potentiellement parler à chacun/e. Certains l'entendent, certains quittent la communication par simple clique sur la souris. D'innombrables propositions sont exprimées, peu d'entre elles continuent d'être suivies. Certaines listes s'épuisent dans des discussions sans fin, tournant en rond, ce qui correspond à l'expérience vécue lors des réunions dites Barrio-Meetings se tenant tous les matins au camp. Les utilisateurs chevronnés d'e-mail ont leurs stratégies pour résoudre le problème de saturation de leur boîte de courriel ou celui de non-intérêt. Souvent de nouvelles listes se détachent, selon des projets spécifiques – de petites "plazas", pour ainsi dire, s'adressant à un public bien précis. Dans l'espace physique du camp frontalier cependant, il n'y avait pas d'archive, selon laquelle s'orienter, ni d'"agora" où se réunir, discuter et négocier des conflits.
Tout comme l'inscription sur une liste de courrier électronique, la présence sur le camp en parallèle semblait constituer un cadre suffisant pour une synergie: on apporterait, croyait-on, ses thèmes et ses formes d'action, et qui s'y intéresserait, viendrait de toute façon s'y joindre. Cela ne fonctionna pas. La logique de l'espace matérielle est différente de la logique virtuelle. Les invitations ne pouvaient pas être transmises à toutes les personnes intéressées par simple clique sur la souris – elles devaient être affichées à différents endroits sous forme de feuilles manuscrites ou par annonce verbale, directe ou via la radio. Tandis que, sur l'Internet, la densité de communication est définie par capacité de connexion, disponibilité de serveur et compétence spécifique de l'usager, dans le camp, les distances jouaient à nouveau un rôle. Le kilomètre allant de l'entrée jusqu'à l'autre bout du camp était en quelque sorte plus long que les 3000 kilomètres qui séparaient par exemple Vienne de Londres lors de la phase préparatoire qui se déroula via support Internet.
N/etiquette dans l'espace virtuel et physique
L'utilisation
d'expressions langagières propres à l'espace physique
pour décrire des processus dans l'espace virtuel est
largement connue: on "visite" un site web,
"entre" dans un chatroom, "ne fait que
passer" ou s'y "donne rendez-vous", on
"se parle" par e-mail. Inversement, je me
prends à dessiner des smileys sur des cartes postales ;-),
tels que l'on les écrit avec son clavier. La situation
de communication suivante lors d'un atelier-d.sec[12]
provoqua chez moi tout d'abord de l'irritation:
30
personnes sont assises en cercle par terre sous un chapiteau,
et se présentent chacune à leur tour. Ambiance concentrée.
Quelques jeunes hommes de la tente média d'à côté traînent
à l'entrée. En tant que modératrice de la discussion,
je demande à l'un d'entre eux s'il voudrait se présenter.
La réponse courte mais courtoise est: "Non."
Puis l'un d'entre eux entre brièvement dans la discussion
pour quitter discrètement la tente après quelque temps.
D'après
moi, cela fait bonne figure de participer aux phases
de présentation. Le jeune homme concerné ne semblait
pourtant pas conscient de quelque violation de cette
"règle comportementale", au contraire, j'avais
l'impression qu'il trouvait mon comportement un peu
inadéquat. Traduit en langage de chat – et peut-être
que l'autre représentation montre déjà pourquoi, dans
le chatroom, son comportement serait tout à fait correct
alors que le mien constituerait une violation de la
"netiquette"[13]
– cette même situation de communication donnerait à
peu près:
xy
(~xy@67.110.168.11) has joined #workshop <=entre
dans la pièce>
<ionnek>
xy, would you like to introduce yourself?
<xy>
no ;-)
(...)
xy
(~xy@67.110.168.11) has left #workshop
"Regarder",
ça va, et toutes les introductions concernant le sujet
de netiquette conseillent de conserver un certain degré
d'anonymat dans les chatrooms. Il
n'est pas bien vu d'insister pour savoir.
Peut-être
est-il possible de remédier d'une façon semblable à
certaines irritations lors de la communication avec
les fournisseurs de la tente média. Au mieux, celui
qui a besoin d'aide, s'en référera aux conseils de bonne
conduite repris sur la toile tels que smart-questions[14]
– poser une question simple, pas de spéculations non
fondées sur d'éventuelles sources d'erreurs ou des solutions,
pas de conversation cliché, penser soi-même.
Action médiatique
Au niveau de l'action aussi, les présomptions concernant l'activisme médiatique et technique, l'espace "véritable" et "virtuel" furent remises en question. Devant les barrières du système d'information Schengen, une équipe de chercheurs dotée d'un équipement crédible avait pu déclencher des rumeurs sur un piratage réussi de cette banque de données bien protégée en jouant une petite scène de théâtre.[15] L'effet de l'action n'était pas dû à un savoir-faire technique de pirates mais reposait sur un jeu audacieux avec les mythes entourant ce savoir et sa mise en pratique dans l'espace physique: les pirates savent tout faire, ils n'ont besoin que d'un ordinateur portable, d'ordres et peut-être de quelques câbles. L'on crut volontiers la transposition ludique de flux de données abstraits en images tangibles (déterrer le câble de données). Dans le cadre de la conférence de presse donnée pour conclure le camp frontalier, l'action fut répétée avec la participation de journalistes et d'un "expert" du Bureau d'Etudes et contribua à transformer la conférence de presse en une sorte de mini-manifestation portant sur le SIS. Bien que tous les moyens de la guérilla de communication soient loin d'être épuisés, l'histoire fut colportée par Le Monde[16] et quelques publications sur la toile.
Travail médiatique
Lors
du camp frontalier de Strasbourg, beaucoup ont regretté
l'absence de débat quant au contenu. Les journées étaient
pleines à craquer d'activités de manifestations et de
tâches journalières – nettoyage des toilettes, ramassage
des poubelles, garde, qui ne devaient pas seulement
être assurées mais sur la répartition desquelles il
fallait d'abord se mettre d'accord, et c'était un effort
laborieux que de parvenir à un consensus sur la manière
de s'organiser et de prendre des décisions au collectif.
Shuddhabrata Sengupta vivait ces processus, en parfaite
correspondance avec le modèle de Maurizio Lazzarato
des possibilités qui se corporalisent, comme "microcosmic
model of a 'functioning anarchy'"(modèle microcosmique
d'une "anarchie qui fonctionne"), qu'il interprète
comme "instance of how the actions and energies
of the 'multitudes' might translate into concrete realities
on a day to day basis in a possible future away from
Capitalism"[17]
(exemple de la façon dont les actions et les énergies
des "multitudes" pourraient se traduire en
des réalités concrètes chaque jour dans un avenir possible
loin du capitalisme). Malgré cette tournure positive,
il reste à constater que ce n'est pas seulement à Strasbourg
que le "mouvement des mouvements" consacre
tant de temps à des processus dûs, en apparence, à des
contraintes concrètes que les confrontations politiques
de réflexion et de discussions sont finalement reléguées
au second plan. Peut-être cela est-ce une stratégie
inconsciente visant à préserver la cohésion dans la
"diversité" du mouvement toujours célébrée
en son sein même et représentée dans un tourbillon multicolore
de séquences vidéo. Pour Hito Steyerl, cette diversité
se présente comme une addition non réfléchie d'approches
politiques contradictoires voire même opposées.[18]
Le fait de fuir des conflits politiques pourrait néanmoins
aussi faire partie d'un processus de re-combinaison
dans lequel se forment des coopérations/recouvrements
plutôt selon le comment
d'une action que le pourquoi.
Il est possible qu'il y ait parfois, dans la diversité
linguistique et politique, des oppositions, ce qui explique
aussi la popularité des clips vidéo comme mode de communication
pouvant fonctionner sans paroles.
Pour
moi, la technologie de l'information comme forme joue
aussi un rôle dans la "redécouverte du contenu",
et ce non pas sous forme de produits finis tels que
les sites web ou les vidéos mais dans l'optique d'une
fonction plutôt non délibérée du processus de production:
les conversations les plus intenses et les plus concentrées
n'eurent pas lieu lors des grandes réunions de discussions
– où la parole et aussi, je le crains, la réflexion
furent souvent laissés aux experts sur le podium. Une
fois de plus, ce furent les activités média alternatives
qui leur créèrent un espace avec d'innombrables utilisateurs
de minidisque qui interviewaient sans cesse les gens
ou s'interviewaient mutuellement – au nom d'une des
chaînes de radio sur le camp ou à la maison, au nom
d'Indymedia Newswires, ou simplement à des fins de documentation
enfouie dans des archives privées. Lors de ces interviews,
l'on pensait, cherchait à clarifier les choses et à
se comprendre mutuellement. L'appareil "minidisque"
semblait, de manière générale, être respecté comme signe
montrant que ces situations de communication ne devaient
pas être perturbées. Une fonction similaire des média
fut mise en scène dans le projet de film de Peter Watkins
intitulé "La Commune", dans lequel les différentes
scènes ne sont pas liées entre elles dans le cadre d'une
seule action mais par des équipes de télé insérées de
manière anachronique ainsi que leurs émissions.[19]
Alors que dans le film cependant, la limite entre les
journalistes et les acteurs était conservée,
elle avait pour la plupart disparu dans le camp – tout
comme cela est postulé, entre autres, dans divers "Indymedia
Mission Statements".
"Pres-que" – Manifestations d'Evian contre le G8
Tu
étais à Evian, non?
Oui,
enfin, non – je n'étais pas en Suisse mais dans le chatroom.
J'ai
passé les sept jours de manifestations contre le sommet
du G8 à Evian de "l'autre" côté de l'espace
de communication: pas dans les rues, les barricades
ou les villages d'activistes mais dans des chatrooms,
des streams, sur des sites web, des listes e-mail, Twikis.
Physiquement, j'étais complètement séparée du monde
extérieur, comme clouée face à l'ordinateur. Du point
de vue de l'esprit/des émotions ou simplement de la
quantité d'adrénaline sécrétée, j'étais en plein milieu,
presque. Mon cœur et mon cerveau fonctionnaient à plein
régime, toujours concentrés sur ce qui se passait "là-bas",
mais presque aussi tout près, ici dans l'espace de communication
que constituait mon écran, que je partageais avec des
gens du monde entier et dans lequel les informations
arrivaient en passant par tous les canaux. Des dizaines
d' IMCistas produisaient une intensité de communication
continuelle, impressionnante et par là même, un espace
de travail et un point de rencontre presque réel sur
l'Internet. Je pouvais être presque simultanément dans
le chatroom de mes collègues en Espagne, en Allemagne,
en Grande Bretagne, tout en étant dans le système complexe
des espaces "dispatch" utilisés en commun
et avec plusieurs langues, et dans lesquels l'on échangeait,
vérifiait, travaillait et publiait de l'information.
Être une média-activiste signifiait pour moi dans cette
situation non pas "rapporter à propos de",
mais "protester" – et ce non seulement au
moment où les gens du centre des média à Genève parlaient
de la prise d'assaut de leur "real space"
et demandaient de l'aide concrète.
L'Internet
n'était plus seulement un outil que j'utilisais, comme
on utilise un téléphone, mais était devenu, par l'intensité
de la communication, un endroit qui demandait inexorablement
de la présence, tel un point de rencontre physique:
lorsque je suis en train de chatter, je ne peux pas
en même temps bavarder à table dans la cuisine ou aller
au cinéma.
"It was exciting, but at times, it was too much, even though we were more people than ever before. The fastness, the urge to do 10 things at a time, a lack of pre-structuring and priority setting pushed us to the limits - no teargas for the webheads, but exhaustion after days on end at the computer, completely forgetting about basic physical needs. It was matrix. One person stayed online for 36 hours. Direct media. The dynamics of 'being there' spread from the streets to the virtual world."[20]
Des modes de communication et d'interaction du "meatspace" sont réinventés pour la communication textuelle sur la toile. L'on apprend non seulement à comprendre mais aussi à ressentir comme sourire, clin d'oeil ou irritation des icônes et des signes tels que <lol> und <brb>. Dans la pratique du chat, les mots peuvent être à tel point chargés de signification qu'il est même possible de créer des "espaces" et des moments pour manger ou boire ensemble. Dans le contexte de telles interactions sociales, des discussions intenses qui se déroulent en parallèle dans des espaces de travail et des cabinets virtuels tenant presque lieu de couloirs ou de bistrots cafés, engendrent, émotionnellement aussi, une proximité quasiment identique - quant à l'intensité - aux rencontres face à face.[21]
Cyberpunk? Je ne crois pas. De façon peu spectaculaire, beaucoup de média-activistes (tout comme des personnes privées, des hommes d'affaires, des actifs, des joueurs) sont déjà en plein milieu de la matrice qui est encore décrite chez William Gibson comme une menace sombre et étrange. L'espace cybernétique réellement existant n'est pas constitué aujourd'hui (pas encore?) d'appareils biotechnologiques qui relient le corps humain à des réseaux électroniques par des électrodes. Il résulte de l'utilisation d'outils de communication de technologies de l'information. L'espace Indymedia à lui seul comptait au printemps 2003 entre 600 et 700 listes e-mail, plus de 600 utilisateurs visitent les 2723 pages de l'outil collectif de gestion du contenu Twiki, sans oublier les chatrooms IRC dont le nombre reste rarement inférieur à 60. D'innombrables groupes de média manient avec de plus en plus d'aisance les streams radio et vidéo, la syndication RSS de sites web, les antennes paraboliques, les connexions sans fil, sans oublier Linux, le système d'exploitation open source et non commercialisé. Cette pratique n'est pas une réalité virtuelle, telle que l'on se l'imaginait sous forme de simulation graphique de la réalité dans les années 80. Elle a lieu sur le clavier tout comme dans les ateliers de bricolage de techniciens, dans les rues et dans les centres de média temporaires, dans des tentes, des centres socioculturels et dans des maisons squattées.
Les
résultats sont remarquables, du moins au niveau de l'acheminement
d'informations. Evian et Strasbourg ne sont que deux
exemples parmi de nombreux autres: Pour Evian, d'innombrables
rapports rédigés dans six langues européennes au moins
furent réunis sur un seul site web[22]
grâce au système RSS et présentés sous forme de plusieurs
rapports résumés.[23]
Celui ou celle qui était dans la rue pouvait se faire
tenir au courant par ses amis de ce qui se passait et
où cela se passait via SMS. La présence permanente d'appareils
de communication portables, mobiles et transportables
dans la rue, que ce soit sous forme de bus, de terminaux
d'accès pour le public, d'antennes paraboliques ou de
caméras et d'appareils d'enregistrement à minidisque,
engendre plus que de l'information – elle change la
forme d'articulation politique, peut devenir partie
intégrante d'interventions, contribuer à la production
permanente de publicité, d'une publicité qui ne doit
pas distinguer entre "réel" et "virtuel".
Ainsi, cela ne va que de soi, que des parties du mouvement
mondial de protestation ne demandent pas seulement de
plus en plus souvent de "liberté de mouvement"
mais aussi de "liberté de communication" tout
en reliant habilement espace virtuel et physique: lors
des manifestations contre le G8 à Evian, un cortège
de manifestants s'était rendu à l'OMC, l'International
Organisation for Migration (Organisation Internationale
pour la Migration)[24],
et la World Intellectual Property Organisation (Organisation
Mondiale de la Propriété Intellectuelle), et l'on attend
avec impatience les manifestations qui se dérouleront
autour du sommet des Nations Unies "World Summit
of the Information Society" en décembre 2003.
[1] La généalogie de ce mouvement de protestation mondial n'est pas (encore) déterminée. Pour certains, c'était la révolte des Zapatistas de 1994 qui était l'élément déclencheur, d'autres se réfèrent à des mouvements plus anciens dans leur pays respectifs, et d'autres encore voient le début de ce mouvement dans une des journées de manifestations synchronisées à l'échelle mondiale.
[2] Cette ambiguïté politique est discutée par Boris Buden entre autres: Forever young. La multitude selon Negri comme concept d'émancipation post-émancipateur. Dans: www.republicart.net, Space of Empire, www.republicart.net/disc/empire/buden02_fr.htm; et Maurizio Lazzarato: Lutte, événement, médias. Dans: www.republicart.net, representations, www.republicart.net/disc/representations/lazzarato01_fr.htm. Buden constate que "nous ne pouvons pas, au sein de la multitude, développer un sentiment d'appartenance politique et d'obligation de solidarité avec les autres 'membres'". Lazzarato se concentre sur la transition, devenue tangible dans l'événement de Seattle, d'un grand récit politico-émancipatoire vers un mode de possibilités.
[3] Des exemples d'espaces de travail virtuels seraient entre autres irc.indymedia.org ou le registre des quelques 700 listes e-mail Indymedia, et parmi les innombrables "Convergence-Centers" et centres des média l'on citera entre autres le Laboratoire Polymedia prévu pour WSIS ou le centre Indymedia à Gênes.
[4] L'accès aux espaces de communication des tech/média-activistes est limité par des mécanismes d'exclusion nouveaux et classiques– cf. au sujet de "genre et Indymedia" l'étude de Blue: Leftist Techies and patriarchy, 17.01.2002 19:10. en ligne sur Internet http://de.indymedia.org/2002/01/13720.shtml [Situation 24 Sept 2003]
[6] Actuellement: http://www.indymedia.org.uk. Plus d'informations sur l'histoire de ce collectif par Annie et Sam: From Indymedia Uk to the United Kollektives. Paraîtra probablement dans Media Development 2 (2003). En ligne sur Internet http://ionnek.strg.at/bin/view/Main/ImcUkMd
[7]
Appel en ligne sur Internet http://noborder.org/strasbourg/display/item_fresh.php?id
=1&lang=en
[8] Une banque de données qui enregistre entre autres des données concernant des migrants et activistes et renvoie ainsi au nouveau régime de frontière s'appuyant sur des technologies de l'information. Introduction en ligne sur Internet http://noborder.org/strasbourg/topics/back/display.php?id=33&lang=en
[9] Voire http://www.dsec.info
[10] Cf. la lettre de Geert Lovink à nettime, 2 Juillet 2002 en ligne sur Internet http://amsterdam.nettime.org/Lists-Archives/nettime-l-0207/msg00147.html
[11] Plus d'informations sur le concept du volXtheaterbus par Jürgen Schmidt: another war is possible // volXtheater. Dans: www.republicart.net, real public spaces, http://www.republicart.net/disc/realpublicspaces/schmidt01_fr.htm. Rapports en ligne sur Internet http://zone.noborder.org, Link: diary et http://no-racism.net/noborderlab, Link: Projektarchiv Strasbourg.
[12] Rapport d'atelier en ligne sur Internet http://de.indymedia.org/2002/07/26955.shtml
[13] Cf. Valentina Djordjevic: Von "emily postnews" zu "help manners". Netiquette im Internet. Centre d'Etudes Scientifiques de Berlin 1996. En ligne sur http://duplox.wz-berlin.de/texte/vali/index.html
[14] En ligne sur Internet http://www.catb.org/~esr/faqs/smart-questions.html
[15]
Cf. la description par Jürgen Schmidt: another war
is possible // volXtheater. Dans:
www.republicart.net,
real public spaces, http://www.republicart.net/disc/realpublicspaces/
schmidt01_fr.htm, Photos en ligne sur Internet
http://zone.noborder.org/pics/research_sis
[16] Le Monde Interactif 27.7.2002
[17] Shuddhabrata Sengupta: No Border Camp Strasbourg : A Report, 29 Jul 2002 en ligne sur Internet http://mail.sarai.net/pipermail/reader-list/2002-July/001673.html
[18] Vgl. Hito Steyerl: Die Artikulation des Protestes. In: Gerald Raunig, TRANSVERSAL. Kunst und Globalisierungskritik. Wien 2003, 19-28, trad. fr. ("L'articulation de la contestation") en ligne sur Internet http://www.republicart.net/disc/mundial/steyerl02_fr.htm
[19] Plus d'informations chez Michaela Pöschl: "... beyond the limitations of the rectangular frame". Dans: www.republicart.net, representations, http://www.republicart.net/disc/representations/poeschl01_fr.htm
[20] Extrait de l'étude du rapport d'Evian, en ligne sur Internet http://ionnek.strg.at/bin/view/Main/EvianExperience. Voire aussi d'autres détails sur les outils de technologies de l'information utilisés.
[21] Cf. Bernhard Debatin: Analyse einer öffentlichen Gruppenkonversation im Chat-Room. Discours prononcé lors du congrès annuel du groupe de spécialistes en matière de communication informatique du DGPuK à Munich 1997. En ligne sur Internet http://www.uni-leipzig.de/~debatin/German/Chat.htm
[23] Par exemple en ligne sur Internet le résumé d'IMC UK http://www.indymedia.org.uk/en/2003/12/282510.html